Crise sanitaire, crise énergétique, crise économique. . . Depuis environ 3 ans, le monde subit des chocs successifs d’une intensité exceptionnelle. Pour y faire face, la plupart des États des pays développés n’ont pas ménagé leurs efforts pour aider les familles et les entreprises. , chargé de laisser filer vos dépenses. En France, le déficit budgétaire a bondi en 2020 à 8,9 % du PIB contre 3,9 % l’an dernier et la dette publique a dépassé le cap symbolique de cent pour cent du PIB. Pour cette année, le gouvernement a un déficit de 5% et une dette de 111,2%.
Est-ce soutenable pour nos finances publiques à l’heure où les taux d’intérêt remontent ?Pour en parler, deux économistes avec d’autres points de vue, Xavier Ragot, président de l’OFCE (Observatoire Français des tendances économiques) et François Ecalle, ancien ministre de la Justice de la Paix à la Cour des comptes et président de Fipeco.
En juillet dernier, Bruno Le Maire évoquait le « degré de vigilance » atteint par nos finances publiques. Le FMI a récemment demandé à la France de réduire ses dépenses. Avons-nous atteint un point de non-retour?
Xavier Ragot : Évitons d’avoir inutilement peur. Même si elle dépasse cent pour cent du PIB tel qu’il est aujourd’hui, la dette publique est soutenable, pour une raison indéniable : nous avons les moyens de la rembourser. Historiquement, depuis la Révolution, la France n’a jamais renié ses engagements. pour examiner le fardeau réel qui pèse sur nos finances publiques. Au début des années 2000, le fardeau de la dette représentait à lui seul 3 % du PIB, tandis que la dette elle-même pesait environ 65 % du PIB.
Aujourd’hui, l’intérêt n’est que de 1%. C’est 3 fois moins pour une dette qui a plus de 80% en même temps. Même s’ils augmentent progressivement, les faibles taux actuels ne compromettent pas notre capacité de payer. La dette publique devra être réduite, mais progressivement, pour ne pas casser la croissance. Les marchés monétaires l’ont bien compris.
François Ecalle : Certes, nous n’avons aucune difficulté à emprunter. Mais il l’est, pour combien de temps ? Aucun État n’est à l’abri d’une perte de confiance dans la composante de ses créanciers. Regardez ce qui s’est passé cet automne au Royaume-Uni. Le gouvernement de Liz Truss a présenté un plan d’allégement fiscal qui creuse le déficit budgétaire et la dette.
Les marchés financiers ont paniqué. La livre s’est effondrée et les taux auxquels le gouvernement britannique emprunte ont augmenté. À tel point que la Banque d’Angleterre a dû intervenir en achetant des obligations d’État. ne servent aussi de dernier hôtel que si l’Etat a eu des difficultés. . .
Vous avez parlé du Royaume-Uni. Qu’en est-il de nos voisins et de nos pays?
Xavier Ragot : Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la France n’est pas en décalage les unes avec les autres. Partout dans le monde, depuis la crise du Covid, les dépenses publiques ont explosé. Cela n’avait jamais été remarqué depuis le début du XXe siècle. même après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans les pays développés, bien sûr, où nous sommes environ cent pour cent du PIB. Même les pays émergents historiquement moins endettés (environ 20 à 30% de leur PIB) empruntent beaucoup plus. Nous nous comparons à l’Allemagne, dont la dette est inférieure d’environ 70% à la moyenne. Mais il s’agit d’un cas unique.
François Ecalle : Pas tellement. Fin 2021, dans la zone euro, 7 pays sur 19 avaient une dette supérieure à 105 % du PIB. Tous sont situés dans le sud, à l’exception de la Belgique. Au contraire, les pays les plus productifs, bien en dessous de 85%, sont, à l’exception de Malte, les pays du nord, comme les Pays-Bas ou la Suède. Il ne s’agit donc pas seulement de l’Allemagne. Cet écart, qui s’explique par une culture de rigueur plus puissante dans le Nord, est inquiétant. Il porte en lui les germes d’une explosion imaginable de la zone euro.
Xavier Ragot : L’Allemagne reste séparée. Sa politique économique est totalement fidèle à la vente des exportations, notamment à travers une politique salariale modérée. Ses recettes fiscales en ont grandement bénéficié, ce qui a facilité la réduction de sa dette publique. En France, notre expansion est tirée par la consommation. Réactiver l’activité, l’argent est livré aux familles grâce à la redistribution sociale. Ce sont deux modèles divergents, et pourtant ils devront coexister dans la zone euro.
Cela pose le défi du respect des réglementations budgétaires dans l’Union européenne. Où en sommes-nous à ce sujet?
François Ecalle : Les règles du traité de Maastricht, à savoir un déficit budgétaire ne dépassant pas 3% du PIB et une dette limitée à 60% du PIB, sont suspendues depuis le Covid. La question est de savoir ce qui va leur arriver. Une réforme qui serait applicable n’est pas encore simple à mettre en œuvre.
Des réglementations différentes peuvent être identifiées pour chaque pays. Mais qui les identifiera ? Très probablement, il est à la tête du client. En outre, la règle des 60% précise qu’au-delà de ce seuil, le pays concerné doit s’engager dans l’allégement assez rapidement. La question est de savoir ce que l’on entend par « suffisamment ». . .
Xavier Ragot : On mérite vraiment de se différencier par pays. Mais les seuils existants ne peuvent pas être renégociés à moins qu’un nouveau traité ne soit refait. Nous le prendrions pendant dix ans! Le statu quo des nouvelles règles pose le défi de la force de la Commission européenne. Il a récemment proposé des cibles pour des objectifs nationaux différenciés, ce qui est une bonne idée. Mais elle ne doit pas le faire seulement en se renforçant devant les gouvernements de chaque État.
À notre dette, quelles sont les solutions réalistes maximales?
François Ecalle : Réduisez, vous êtes optimiste. Nous méritons déjà de pouvoir le stabiliser. L’idéal serait d’avoir plus de croissance, mais de ne pas vouloir trop compter. Un peu d’inflation est utile, car elle apporte plus d’argent dans les coffres de l’État, essentiellement par le biais de la TVA. Les taux d’intérêt méritent de ne pas trop augmenter, sinon vous perdez d’une part en amortissements plus coûteux ce que vous gagnez en recettes fiscales.
À cet égard, nous pouvons également augmenter les impôts, mais nous avons déjà les prélèvements obligatoires les plus élevés d’Europe. Il serait préférable de réduire les dépenses publiques, dont une grande partie est inefficace. Mais il faut du courage politique. Enfin, on peut croire que nous mutualisons notre dette au point européen comme nous l’avons fait pendant le Covid. Cela implique tout de même que les États « frugaux » du Nord déjà évoqués s’entendent bien avec les États dépensiers du Sud.
Xavier Ragot : Je ne fais pas de pourcentage votre opinion sur les dépenses publiques. L’essentiel de ces derniers est redistributif. Vous n’allez pas réduire les prestations sociales ou les pensions des retraités!En revanche, de nouvelles taxes devront être assumées si elles sont obligatoires, notamment pour toutes les nouvelles dépenses comme celles qui ont été rendues obligatoires par la transition écologique.
En fin de compte, la politique du « quoi qu’il en coûte » aurait-elle été utile, même face à une augmentation soudaine de notre dette ?
François Ecalle : Absolument. En situation de crise, nous n’aurons pas à hésiter à utiliser l’arme budgétaire, mais à deux conditions. Qu’elle soit transitoire et destinée aux populations qui le souhaitent le plus. Était-ce utile, par exemple, une prime à la pompe pour tout le monde?Ensuite, il faut s’en sortir et il n’est pas facile de revenir en arrière, une fois que les familles ou les entreprises se sont habituées à être soutenues.
Xavier Ragot : Ce genre de mesure devra être notoirement temporaire. Mais petit à petit nous avons réussi à nous en sortir. Voir la prime sur les carburants abolie le 1er janvier 2023. Le bouclier tarifaire sur le gaz demeure. Encore une fois, il ne peut pas être subventionné indéfiniment. Il sera obligatoire de supposer des augmentations lentes pour converger vers le prix du marché, s’il est encore très élevé, et d’orienter l’aide vers les populations les plus vulnérables.