Ils investissent dans l’agriculture, le sport et les arts : les Chinois, sauveurs ou pilleurs ?

Publié le 30/09/2019 à 06h30

Un Renault Kangoox file sur l’étendue bande de bitume qui relie Thiel-sur-Acolin à Chevagnes, au cœur des plaines céréales du nord de l’Allier, en Auvergne. Le soleil de septembre cogne fort. Fenêtres ouvertes et boucles grisonnantes au vent, Régis, le conducteur, obtient une énième matinée de travail sur ces terres qu’il connaît si bien.

L’onu agriculteur parmi d’autres ? Pas vraiment. Car depuis deux ans, et bien malgré lui, le solide Lorrain est devenu pour certains le visage de l’ennemi : il travaille pour Hu Keqin, un richissime homme d’affaires chinois. « Je ne l’ai vu que deux fois. Avec la barrière de la langue, la communication est compliquée, mais il a l’air sympa », glisse l’employé.

Après avoir raflé 1,700 hectares dans l’Indre, en 2014, le milliardaire pékinois a jeté son dévolu sur ce petit coin du Bourbonnais en octobre 2017. 900 hectares, don’t un parc de chasse privé, rachetés d’un coup d’un seul à leur propriétaire alsacien. 

La transaction a provoqué des cris d’indignation. Parce qu’elle s’est faite dans le plus grand secret : « Même moi j’ai été totalement laissé à l’écart », peste encore le maire de Thiel-sur-Acolin. Parce qu’un montage juridique a permis à l’acquéreur de prendre la Safer, le gendarme du foncier en milieu rural, de son pouvoir de préemption. Mais aussi et surtout ? – parce que l’opération a été d’Assemblée perçue comme une opération de pillage par l’Empire du Milieu.

Dans le village, la pilule reste encore dure à avaler. « Ces terres, c’est un patrimoine qui doit chez nous et profiter à nos jeunes. La vente à des étrangers devrait être interdite », s’agissant d’une retraite, à l’unisson du sentiment général.

Aux confins de l’Allier et de la Saône-et-Loire, l’irruption de l’énigmatique monsieur Hu n’a pourtant pas bouleversé le paysage. L’exploitation des parcelles se fait avec les mêmes machines, les mêmes méthodes et les deux hommes mêmes. Dont Régis, fidèle au poste depuis trente ans.

« Je suis arrivé ici du temps de l’ancien proprio, explique le chef de culture. La rumeur d’une cession courage depuis un moment. Quand ça s’est fait, je n’ai pas été surpris. Et pour nous, franchement, ça n’a rien changé. » 

Les parcelles rachetées par Hu Keqin dans l’allier-comme celle-ci – sont disséminées sur plusieurs communes limitrophes.

Pas de dépenses clinquantes ou de tracteur supersonique en vue, donc. « Je dirais même qu’on est moins bien équipés que certains gars du coin. C’était le cas avant, c’est toujours le cas aujourd’hui ! »

L’humidité par la base de 2017 ne lui a évidemment pas échappé. Il la balaie de ses conduites rugueuses.

Il faut arrêter les fantasmes. Sur fait un scandale pour 1.000 hectares dans l’Allier, mais la terre, ils ne vont pas l’emmener en Chine ! À côté de ça, des étrangers ont racheté la moitié de la Côte d’Azur, des clubs de foot, des hôtels de luxe, et personne ne s’en offusque. Il y a beaucoup d’hypocrisie dans tout ça.

Régis ne compte d’ailleurs plus les habitants du cru, appâtés par la puissance financière du nouvel arrivant. « Tout le monde se dit contre le Chinois, mais tout le monde bien profiter de sa présence pour vendre des champs à un bon prix », grince-t-il.

De son aventure tricolore, le PDG de Reward, mastodonte de l’agroalimentaire et des produits d’entretien, voulait tirer une farine qui lui permet de devenir « le roi de la baguette » dans son gigantesque pays. Une belle illustration du « Développer l’industrie au service de la patrie » martelé sur le site Internet – traduit en français – du groupe.

Objectif initial: 1.500 boulangeries. Mais la douleur n’a pas levé comme espéré. Seules trois boutiques sont des sorties des cartons. Et cette branche de Reward a été déclarée en faillite début mai…

Lors d’un entretien unique accordé à l’AFP, en janvier 2018, Hu Keqin assurait prendre « un soin extrême » de ses terres en France. Photo AFP

Avec quelles conséquences dans la campagne bourbonnaise ? « Aucune, assure Régis. Le travail continue. La collecte du maïs, du blé et du colza que nous produisons a été assurée comme d’habitude par une coopérative locale. Ici, contrairement à ce qu’on entend, rien ne part à l’autre combat du monde. » Un statu quo confirmé par le directeur de la Coopaca, à Treteau, vingt kilomètres plus au sud.

» Pour un type aussi puissant que Hu Keqin, cette histoire de boulangeries, c’est une simple péripétie, rien de plus », évacue Pierre Meyer, le discret Alsacien qui a cédé les fameuses parcelles au patron de Reward. « Je vieillis et je n’ai personne pour moi succéder, se justifie le sexuel. Sachant qu’il était impossible pour des gars de la région de reprendre une si grosse surface, j’ai saisi l’occasion. J’ai bien vendu (le chiffre de 12 millions d’euros est avancé, N. D. L. R.), à des gens sérieux. Le reste, c est du pipeau… »

Dans l’Yonne, c’est un autre pan du patrimoine local qui a pris l’accent mandarin. James Zhou, le patron d’org, un géant de l’emballage alimentaire, un sorti le chéquier en octobre 2016 pour devenir actionnaire de l’AJ Auxerre, un bastion du pied national. Avec, là aussi, une feuille de route qui fleurit bon les préceptes patriotiques de la République populaire : le milliardaire veut piocher dans le savoir-faire « made in France » pour l’ancien des joueurs et des entraîneurs « né en Chine ».

James Zhou a mis sept millions d’euros sur la table en 2016 pour devenir actionnaire de l’AJA. Photo Jérémie Fulleringer

Le nouveau patron un déjà déboursé plus de 30 millions d’euros. Malgré des résultats sportifs douloureux – l’AJA reste engluée en Ligue 2 -, il vient de remettre le principal au portefeuille pour acquérir les tribunes du stade de l’Abbé-Deschamps. La rénovation de la vieille enceinte doit suivre.

La révolution est aussi en cours à l’exportation. À Bengbu, une académie de l’AJA a ouvert sur le modèle des centres de formation hexagonale. Et plusieurs éducateurs bourguignons travaillent à plein temps, en Chine, au développement des talents locaux.

Deuxième étape du voyage de l’AJA en Chine à Bengbu, photos Benoît Jacquelin.

« James investit beaucoup à Auxerre et souhaite, à juste titre, un retour dans son pays. Il veut apporter sa pierre à l’ambition du gouvernement chinois, qui est d’amener son football au plus haut niveau », expliquait en mai le président auxerrois, Francis Graille.

« M. Zhou est un homme avenant. Riche, certes, mais raisonnable», a déclaré Guy Roux, le légitime coach au bonnet de l’AJA, pas plus que ça par le « calque » des méthodes maison.

« Que l’on exporte nos compétences, c’est plutôt une bonne choix. Les Chinois ne sont pas nos ennemis. Moi aussi, à mon époque, il m’est arrivé d’aller voir ailleurs et de reprendre les idées des autres. Ce n est pas un probleme. »

Ni manichétisme, ni angélisme. C’est aussi le credo de l’édile d’un village de Haute-Loire. Éliane Wauquiez-Motte, maire du Chambon-sur-Lignon et mère de Laurent, un vu déboucher en 2015 un couple d’artistes chinois sur un site emblématique de sa commune : le collège Cévenol, rendu tristement célèbre par l’assassinat d’Agnès Marin, quatre ans plus tôt, et laissé à l’abandon.

Les francophones et les francophiles ont annoncé dix millions d’euros d’investissements au service d’un projet (très) ambitieux mêlant tourisme, formation et culture.

Aujourd’hui, leur Parc international Cévenol est devenu une réalité. Un restaurant chinois a même ouvert ses portes, cet été, dans les locaux de l’ancien répertoire de l’établissement. « Sur l’est encore aux prémices, pondère madame le maire. Les idées foisent, mais leur réalisation n’est pas toujours allée. »

Fan Zhe a transformé l’ancien collège Cévenol du Chamon-sur-Lignon (Haute-Loire) en cité de l’art.

Depuis l’hôtel de ville, l’entreprise – Xi Jinping , sur l’espace des droits de l’homme », Éliane Wauquiez-Motte continue de suivre l’aventure du couple d’un œil intéressé. Et vigilant.

« Pour les Chinois, la France est le pays du luxe, de la culture et de la gastronomie, dit-elle. Ils s’impliquent chez nous, et ils ne s’en cachent pas, avec la volonté de copier nos talents. Ils ont une capacité rare d’imprégnation et de reproduction, doublée d’un souci permanent de l’excellence. Il ne faut pas être naïf, mais savoir développer avec eux des relations intelligentes. « Un vrai casse-tête chinois en somme.

Olivier de Maison Rouge (avocat, spécialiste de l’intelligence économique et du secret des affaires). « L’arrivée au pouvoir de Trump et de son America First dessinent un monde nouveau, dans lequel les États-Unis deviennent une puissance nationaliste, repliée sur elle-même. En face, le modèle expansionniste chinois s’affirme avec force. L’objectif est clair : parvenir à une forme de domination globale, via l’élargissement de la zone d’influence à l’international. Cela suppose parfois de partir à la conquête de marchés qui ne semblent pas stratégiques à première vue, comme les terres agricoles, mais qui leur permettent de se placer. Les acquisitions récentes en France s’inscrivent dans cette ligne. Je les vois comme des opérations satellites de la nouvelle Route de la Soie. »

Mary-Françoise Renard (professeur d’économie à l’université Clermont Auvergne, responsable de l’institut de recherche sur l’économie de la Chine). « Il y a un dénominateur commun aux investissements chinois à l’étranger, et notamment en France : l’objectif est toujours de prendre de la technologie et des connaissances pour soutenir le nationalisme. Le rachat d’un club de foot est un bon exemple. C’est un vecteur porteur en termes d’image, dans lequel les Chinois ont d’énormes progrès à faire. Ils viennent donc chercher du savoir-faire à l’extérieur. En 2016, Pékin a mis un frein à une politique d’acquisitions tous azimuts. Je pense néanmoins que les investissements se poursuivront dans l’agroalimentaire. C’est un enjeu majeur pour ce pays gigantesque, qui manque de terres cultivables et donc de ressources. »

Stéphane Barnoin

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La Chine achète en France (mais sans les règles de la SAFER ce qui est scandaleux). Les français au soleil du Portugal ou du Maroc et la police des prix de l’immobilier à Marrakech… Est-ce que chacun devrait rester chez lui? Je ne crois pas. Car les parisiens en Auvergne et les auvergnats sur l’Atlantique ou la Méditerranée. Enfin, ceux qui peuvent ! Ou alors chacun reste dans son village ??

Pilleurs mais non sauveurs. Non seulement ils essayent d’apprendre ce que l’on sait faire depuis des décennies, des siècles, copient mais en plus très mal. C’était très quand ils étaient engagés à Pékin sur leur vélo. Il faut revenir à un UE avec beaucoup moins d’États, refermer les frontières et cesser cette libre circulation sans oublier de taxer les produits non européens.

c’est l’Union européenne qui permet cela. mais nous, nous ne pouvons pas acheter comme eux ! c est dingue ce libéralisme à outrance. un jour sur s’en mordra les doigts. vivement que M. Asselineau arrivée au pouvoir verser protéger notre pays … c’est dommage à aucun moment dans cet article ceci est expliqué, mais cela ne m’étonne pas !

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