Depuis des mois EDF le savait mais n’a rien fait. À la centrale nucléaire de Cruas (Drôme), la zone de stockage des contaminants atmosphériques déborde : les quantités qui y sont entreposées plus largement le maximum autorisé. Sans qu’on ne sache toujours ce qu’il y a dedans. Et les niveaux de radioactivité de cette aire de stockage franchissent eux aussi les limites : les débits de dose en bordure du site sont très au dessus du dessus du maximum autorisé, jusqu’à 30 fois plus par endroits.
La situation perdure depuis mars 2019. Malgré plusieurs constats et signalements faits pas le personnel, il faudra plus de six mois pour qu’EDF en parle aux autorités. Ce n’est que le 22 octobre 2019 que l’exploitant nucléaire déclarera un évènement significatif pour l’environnement à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Enfin informée, l’ASN a diligenté une inspection sur le site nucléaire le 28 octobre, et c’est par son rapport, publié le 5 novembre que l’information est communiquée au public. Aucune déclaration officielle de l’exploitant n’a été faite, ni avant l’inspection du 28 octobre, ni jusqu’à présent (au 6 novembre 2019). Et pourtant, les travailleurs et les riverains de la centrale de Cruas sont les premiers concernés : l’aire d’entreposage des outils contaminés (dite « aire AOC ») est tellement mal gérée qu’elle génère une importante dissémination de radioactivité dans l’environnement.
Quand’ils sont venus sur place, le 28 octobre, les inspecteurs de l’ASN ont constaté les faits suivants :
environ 210 conteneurs d’outillage contaminés sont entreposés sur cette aire alors que le maximum autorisé est de 176 (soit 1/5ème de la capacité maximale autorisée en plus) ;
des conteneurs sont mis en dehors des zones prévues et délimitées, notamment sur des voies de circulation ;
containeur certains sont orientés perpendiculairement à la direction des événements dominants, alors que l’ASN impose de les orient selon la direction des événements dominants;
des contenus n’ont aucune identification, alors que sur chacun d’entre eux doit être précisé: son contenu détaillé, la date d’entrée du contenu sur l’aire d’enfouissement, la radioactivité mesurée au contact et à 1 mètre, et son potentiel calorifique ;
un débit de dose pouvant atteindre 15 ‘Sv/h sur les verstres sud et ouest de la zone alors que le débit de dose maximale autorisé en limite de clôture est de 0,5 ‘Sv/h (soit 30 fois le niveau maximum autorisé).
Les inspecteurs ont également examiné le compte-rendu du prestataire qui a réalisé les vérifications pour la semaine 42 (14-19 octobre) : la mesure du débit de dose en période de l’aire met de nouveau en éruption des débits supérieurs à 0,5 Sv/h, et non des moindres car les valeurs mesurées vont jusqu’à 6 ‘Sv/h par endroits. Mais là encore, EDF n’a rien fait.
Les contrôles mensuels ont montré qu’en juillet 2019, les débits de dose s’élevaient à 11 ‘Sv/h. Ils sont montés jusqu’à 15 ‘Sv/h au mois d’août 2019 (pour rappel, la limite autorisée maximale est fixée à 0,5 ‘Sv/h). Mais pour autant, EDF n’a rien fait.
Cerise sur le gâteau : alors que les modalités d’exploitation de l’aire d’entreposage des outillages contaminés sont strictement réglementées par des décisions de l’ASN (notamment la décision n° CODEP-LYO-2017-021767 du Président de l’ASN du 1er juin 2017), EDF a précisé le jour de l’inspection « qu’il n’avait pas conscience de ne pas respecter, depuis le mois de mars 2019, les modalités d’exploitation autorisées par l’ASN ». L’autorité de contrôle se permettra de rappeler à EDF quelques règles de base concernant l’exploitation des installations nucléaires, définies par l’arrêté du 7 février 2012 (dit « arrêté INB »), comme par exemple le fait que « l’exploitant procède dans les plus brefs délais à l’examen de chaque écart […] » et « l’exploitant s’assure, dans des délais adaptés aux enjeux, du traitement des écarts […] ».
Petit épilogue, pour faire le tout : les inspecteurs ont voulu connaître le contenu de 4 conteneurs identifiés le 15 octobre comme étant à l’origine du dépassement du débit de dose mesuré ce jour là. Sauf qu’il a été impossible de mettre la main sur les fiches d’identification des contenus le jour de l’inspection. Elles ont été transmises plus tard à l’ASN : certaines fiches ont été incomplètes et d’autres sont datées du 29 octobre 2019, le lendemain du jour de l’inspection…
Des contrôles réalisés pas toujours de manière exhaustive, des non-conformités identifiées qui ne donnent lieu à aucune action corrective, un inventaire de conteneurs radioactifs qui n’est pas à jour, des violations de la réglementation (dont l’exploitant se dit non conscient), plus de 6 mois à laisser courir une situation illégale générant des risques, une déclaration plus que tardive d’un évènement pourtant largement significatif pour l’environnement et les populations, une absence totale d’information du public… L’ASN dira dans son rapport d’inspection qu’elle « considère la situation très insatisfaisante ». C’est le moins que l’on puisse dire à voir la manière dont la centrale de Cruas gère ses outils contaminés. D’autant plus quand on voit son absence totale de réaction face à une situation porteuse de dangers qu’elle a elle-même créée.
Consulter l’intégralité du rapport d’inspection du 28 octobre 2019 :