La France des jeux ou la privatisation p p re – Lib ration

Annoncée à grand renfort de publicité, la première privatisation du quinquennat Macron débute ce jeudi avec la mise en Bourse de la Française des jeux (FDJ). Décidée début juin et rendue possible par le vote de la loi Pacte, cette opération devrait rapporter entre 1,6 et 1,9 milliard deuros à lEtat, sans dégager pour autant de nouveaux moyens pour la deuxième loterie européenne  qui a dailleurs reconnu que cette mise en Bourse allait occasionner dimportants frais. Bien moins polémique que la privatisation dAéroports de Paris (ADP), suspendue au résultat de la campagne référendaire en cours (près de 925 000 signatures enregistrées au 6 novembre), celle de la FDJ est présentée comme une grande opération dactionnariat populaire sur un placement de bon père ou mère de famille. Un investissement aux risques limités pour les futurs actionnaires tant lactivité de la FDJ, à la croissance métronomique (+5,2% en moyenne par an ces vingt dernières années), apparaît déconnectée des aléas de la conjoncture. Une activité qui rapporte un confortable dividende annuel fixé à 80% du bénéfice (122 millions deuros distribués lan dernier sur un résultat net de 170 millions deuros).

Cest ce quest venu dire Bruno Le Maire au nouveau siège de ce groupe de 2 500 salariés à Boulogne-Billancourt ce jeudi matin, indiquant que «le développement durable et responsable de la Française des jeux [] suscitait le respect des Français». Alors pourquoi privatiser cette mécanique bien huilée toujours en situation de monopole pour la majorité de ses activités (la concurrence nexiste que sur les paris sportifs en ligne), et qui continuera de rapporter 3,5 milliards deuros de recettes fiscales annuelles en raison des taxes sur les jeux dargent prélevées par lEtat ? Le ministre de lEconomie a préféré insister sur les 20% que gardera lEtat actionnaire, son droit de veto à partir de la montée au capital dun actionnaire au-delà de 10%, ses trois administrateurs et son commissaire qui veilleront au grain «Il y aura plus de garanties après la privatisation quavant la privatisation», a même osé Le Maire, affirmant que «lEtat ne disparaissait pas du paysage, bien au contraire».

Convaincre les particuliers

Une fois le ministre parti, cest Martin Vial, le président de lAPE (agence des participations de lEtat, au nombre de 88 dans des entreprises de droit privé), qui a rappelé la «nouvelle doctrine actionnariale de lEtat» : «LEtat affirme sa présence au capital autour des grands enjeux de souveraineté comme dans les secteurs de la défense et de lénergie et dans les grands services publics comme la Poste ou la SCNF. Mais pour le reste, les montants de ses participations peuvent évoluer afin de libérer des ressources financières pour financer linnovation», a-t-il déclaré, en précisant quune loi comme Pacte était nécessaire, lorsquil sagissait pour lEtat de passer sous la majorité du capital.

Alors que les investisseurs institutionnels (banques, assurances, fonds, etc.) se seraient montrés daprès les premiers retours très demandeurs dun titre (99,32 millions dactions mises sur le marché au total) dont la fourchette de prix a été fixée entre 16,50 et 19,90 euros, tout lenjeu pour lEtat est de convaincre les particuliers de prendre un peu plus de risques en se remettant à acheter des actions. Car si la Bourse est au plus haut depuis douze ans, ce qui assure à la FDJ une fenêtre de tir idéale, les Français sen sont largement détournés après la crise financière de 2008 : ils ne sont plus que 3 millions à en détenir aujourdhui, contre environ 7 millions au début des années 2000.

Au moment où les taux dintérêt sont pratiquement nuls, ce qui réduit dautant le rendement du très populaire livret A et des assurances-vie en unités de compte, «cest une bonne manière de diversifier ses placements avec la perspective dun rendement plus élevé», a encore dit Bruno Le Maire en revenant sur sa marotte quil est vital que «lépargne des Français participe au financement de léconomie». Le produit de cette privatisation  pour laquelle les banques nont plus le droit de démarcher activement leurs clients  servira à financer le fonds pour linnovation de rupture, autrement dit «lintelligence artificielle, le calcul quantique, le stockage des données, la santé du XXIe siècle, a martelé le ministre. La France doit rester dans la course technologique et sa souveraineté dans ces domaines est la condition de notre souveraineté politique».

16 milliards de mises en 2018

Pour les analystes présents dans la salle, la fourchette de valorisation retenue, qui valorise lentreprise entre 3,15 et 3,8 milliards deuros, est plutôt haute. «Cest 18 à 22 fois le bénéfice net et 10 fois lexcédent brut dexploitation, a fait remarquer lun deux, selon lequel le principal attrait de lopération nest pas dans lappréciation dun titre qui devrait «gentiment végéter» mais dans la rente que constitue le confortable dividende (87 millions pour lEtat en 2018) versé par une FDJ sans le moindre endettement à rembourser. Un argument qui était précisément un de ceux avancés par les opposants à la privatisation. Stéphane Pallez, la présidente de la FDJ depuis cinq ans, qui prépare depuis longtemps déjà cette mise en Bourse, a reconnu quen matière dévaluation dactifs, il nexistait pas vraiment de précédents pour les grandes loteries. Seules deux dentre elles, a-t-elle dit, ont déjà été privatisées : la grecque et laustralienne.

Afin de bien faire comprendre aux Français quils peuvent y aller les yeux fermés ou presque, le gouvernement a prévu une décote de 2% à lachat pour les particuliers et une onzième action gratuite pour dix achetées à partir du moment où elles seront gardées dix-huit mois. Les Français, qui ont misé lan dernier près de 16 milliards deuros dans les jeux dargent et de hasard de la FDJ, ont jusquau 19 novembre à 20 heures pour en devenir actionnaires. En cas de succès, ils pourront détenir jusquà 40% du capital, aux côtés des salariés de lentreprise auxquels sont réservés 5% des titres et des actionnaires historiques (associations danciens combattants, confédération des buralistes), qui vont monter à 23% du capital contre 15,4% aujourdhui.

Christophe Alix

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