Finie, la politique ? Quelle blague !
Il faut dire que » politique « signifie deux choix différents, parfois opposés selon le genre : le politique vise le consensus, le rassemblement du corps politique ; la politique c’est au contraire le conflit, le dissensus, et le » parti » – même quand il se dit rassemblement. Le déclin de l’un nourrit l’exubérance de l’autre.
Tout est politique ? Non, mais n’importe quoi peut nourrir le conflit et être ainsi politisé. Le bon vieux clivage gauche-droite tient le coup d’état , mais la politique fait flèche de tout bois. Dans les Voyages de Gulliver, c’est la façon d’ouvrir les yeux à la coque, par le gros combat (droite conservatrice ?) ou par le petit (gauche progressiste ?) qui diviser les citoyens et s’oppose aux empires. Les populistes préfèrent sans doute les œuvres brouillées. En attendant, l’écologie, la cause des femmes, la taxe carbone et les limitations de vitesse, ou le burqini, fera l’affaire.
La mondialisation, le triomphe de la démocratie libérale et le règne de l’argent aurait dû mettre ces ardeurs obsolètes, le gouvernement cédant la place à la gouvernance. Il n’en est rien, c’est même tout le contraire. Jamais les conflits politiques n’ont été aussi virulents. Pourquoi ?
Ce prétendu monde sans frontières en vu surgir de nouvelles plus vite qu’on abat les anciennes
La mondialisation, tout comme l’intégration européenne, sont des motifs de conflit. L’hégémonie de l’Empire (américain) une logique des empires concurrents. Notre monde est à la fois unifié (global) et de plus en plus fragmenté, du fait de l’affaiblissement des intermédiaires : déclin de vieilles nations, si l’on veut, mais pas de « la nation », sinon pourquoi les Écossais ( très ancienne nation) ou les Catalans (idem), et tant d’autres, veulent-ils retrouver la leur ?
Ce prétendu monde sans frontières en vu surgir de nouvelles plus vite qu’on abat les anciennes. Le déclin des institutions et des idéologies libres les émotions. Quant aux réseaux sociaux, ils ont élargi, internationalisé, fragmenté et dérégulé l’espace public : populisme technologique. Quant aux intellectuels terminaux, ils tentent de survivre sur Twitter.
Le mythe du progrès linéaire laisse place à une ère du recyclage où tout peut revenir faire et ranimer des passions que l’on croyait abolies. L’histoire avec un grand H donne la main aux histoires et autres fictions identitaires… qui ne l’avait jamais perdu. Les nouveaux leaders de notre temps, en Chine, en Russie, en Inde, en Turquie et ailleurs concilient les anachronismes – à la française : « et en même temps ».
L’Italie, laboratoire politique, un tout-premier. Deux ans avant la France, elle tente le macronisme, en la personne de Matteo Renzi, suivi d’une alliance baroque entre une Ligue d’inspiration médiévale et d’un non-parti post-moderne, le M5S : un autre compromis historique, éphémère, bien dans l’air ou le courant d’air du temps. Les Italiens se gouvernent peut-être mal (mal governo) mais, assurance, ils font de la politique. Et les plus incolores (Giuseppe Conte) ne sont pas moins habiles que les ex-flamboyants (Renzi, di nuovo).
Le désordre et les extravagances qui ravivent les patrons du Brexit, c’est aussi de la politique. Dernières péripéties: le micro-coup d’état de Boris est aussi tôt annulé par celui de la Cour suprême.
Ajoutez à cela les exceptions françaises, les querelles de Teutons, les perfides anglaises, les nostalgies Mittel-Europa, et les névroses scandinaves, et le laboratoire prend des dimensions continentales. A défaut d’un corps introuvable politique européenne, sur y fait de la politique comme jamais pacifiquement : fait de la politique, pas la guerre. Dernière trouvaille: la » démocratie illibrale », en d’autres termes, conflit entre pouvoir des juges et souveraineté populaire.
Dans un récent numéro de Médium, Antoine Perraud souligne les effets dévastateurs de la démocratie directe sur l’admirable mécanique parlementaire britannique. Mais cette mécanique, justement, a peut-être fini par tourner sur elle-même; n’était-il pas temps de consulter enfin le peuple ? Le désordre et les extravagances qui ravivent les patrons du Brexit, c’est aussi de la politique. Dernières péripéties: le micro-coup d’état de Boris est aussi tôt annulé par celui de la Cour suprême. Et pendant ce temps aux États-Unis, sur bricole l’emploi de Trump : vous avez dit pouvoir des juges ?
En France, sur l’élection d’un président et de gauche et de droite, encore que l’intérêt n’a pas manqué de souligner lui aussi les clivages : les « gilets jaunes » lui ont fait savoir qu’ils ont compris. En Espagne, Sanchez fait de la politique, d’abord contre ses camarades, puis contre ses adversaires. Poutine, Xi Jinping, Modi, Erdogan font de la politique… sur la scène internationale. Sur le plan intérieur, ça laisse à désirer.
Les oligarchies en quête de gouvernance tranquille et lucrative se soldent de ces folies. Ce n’est pas pour prendre mais les peuples ne devraient pas s’en laisser tenter.
Et que ceux qui n’ont jamais péché (les voix) leur lancent la première balle de défense.
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Le goût de la vérité n’empêche pas de prise parti
Albert Camus
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