«La précarité tue» : cette phrase est devenue virale, ce week-end, sur les réseaux sociaux, suite à lacte désespéré dA. (1), un étudiant qui sest immolé par le feu vendredi au pied dun bâtiment du Crous (Centre régional des uvres universitaires et scolaires) de Lyon. Ce slogan est désormais tagué en lettres rouges sur les murs du bureau de Nathalie Dompnier, la présidente de luniversité Lyon-II, saccagé en marge du rassemblement organisé ce mardi en hommage à létudiant, brûlé à 90% et luttant toujours pour la vie à lhôpital.
Cest à quelques mètres de lendroit où A. a commis «lirréparable», selon ses propres mots dans un message laissé au préalable sur Facebook, que ses soutiens ont afflué ce mardi à 10 heures. Des membres du syndicat Solidaires, dont létudiant de 22 ans est une figure, ont dabord lu sa lettre signée dun «au revoir» et justifiant un geste «politique» : «Je vise [] le ministère de lEnseignement supérieur et de la Recherche et, par extension, le gouvernement», a-t-il écrit, fustigeant le «libéralisme qui crée des inégalités».
«Moyens de vivre»
Les interventions se sont ensuite succédé devant un millier de personnes. «Je connaissais très bien notre camarade, son geste en dit beaucoup sur la situation étudiante actuelle et sur la grandeur de son investissement militant», considère Louise, également membre de Solidaires, qui a rappelé lune des revendications de son organisation, «le salaire étudiant, payé à toute personne qui étudie pour quelle ait les moyens de vivre».
Originaire de Saint-Etienne, A. triplait sa deuxième année de licence en sciences politiques et ne touchait plus de bourse. «Cest lui qui ma appris beaucoup de choses sur le syndicalisme de lutte, se souvient Beverly Rubin, membre de Solidaires et ancienne camarade de promotion dA. Il a aussi toujours été très impliqué dans la vie de la fac.» Elu à la Commission de la formation et de la vie universitaire (CFVU), le jeune homme vivait à la résidence étudiante Jean-Mermoz, en périphérie de Lyon («la pire», commente Beverly Rubin), avant de perdre son logement cette rentrée en raison de son nouveau redoublement.
«On savait quil nétait pas bien, raconte la jeune femme qui a assisté à une réunion avec lui mardi dernier, mais il ne nous avait pas parlé plus que ça de sa demande de bourse exceptionnelle.» Cette dérogation lui ayant été refusée, A. navait plus aucune source de revenus pour poursuivre ses études. «Et même quand jen avais, 450 euros par mois, était-ce suffisant ?», interrogeait-il dans son texte. «Il vivait chez sa copine depuis juillet, toute sa vie se résumait à défendre les droits des étudiants et plus largement ceux des prolétaires, des pauvres. Sil sen sort, ce sera toujours comme ça, il continuera à se battre contre le capitalisme», veut croire Beverly Rubin.
«Etre étudiant, cest aussi sortir, découvrir une ville, la vie»
Avant quune marche ne sélance spontanément, deux étudiants viennent dire au micro que des «choses à manger» ont été achetées «pour ceux qui ne peuvent pas se payer un petit-déjeuner». Arrius, 22 ans, étudiant en sciences sociales, nest pas dans ce cas : «Je ne suis pas le plus à plaindre, mais cest important dêtre là par solidarité.» Le jeune homme, qui connaissait A. «de loin», sémeut de cette «détresse liée aux injonctions du type « si tu es dans la merde, cest de ta faute » qui finit par te faire vriller».
Et les «difficultés», ce nest pas seulement parvenir tout juste à payer son loyer et ses repas, souligne Arrius : «Quand la part des loisirs est inexistante, ça conduit à lisolement.» A ses côtés, Angie, 21 ans, acquiesce : il a abandonné ses études de musicologie pour travailler à temps complet dans la restauration «à cause de cette précarité» : «Javais plus dune demi-heure de transports pour aller en cours, ça prenait une part énorme de mon budget. Etre étudiant, normalement, ce nest pas juste fournir un travail intellectuel, cest aussi sortir, découvrir une ville, la vie.» Plus loin, Catherine, 59 ans, une salariée qui vient de reprendre ses études en sociologie, abonde : «Un certain nombre détudiants touchent le fond, je trouve très grave, très dangereux que lidée de conditions minimales dexistence ne soit pas admise socialement.»
(1) Le nom dA. est apparu dans certains médias, Libération fait le choix, en respect de celui de ses confrères, de ne donner que son initiale.