La filiale dune des plus grandes banques mondiales renvoyée en justice, cela narrive pas tous les jours. Mardi souvre devant la 13e chambre du tribunal correctionnel de Paris, le procès Helvet Immo, du nom de ces prêts immobiliers octroyés en 2008-2009 par BNP Personal Finance (filiale 100 % de BNP Paribas) à des particuliers qui souhaitaient acheter un logement à vocation locative. Ces acquisitions faites dans le cadre des lois Robien ou Scellier ouvraient droit à une baisse dimpôt aux ménages qui investissaient alors dans limmobilier. Des intermédiaires qui commercialisaient ces appartements proposaient également aux acquéreurs des prêts Helvet Immo, octroyés en francs suisses mais remboursables en euros.
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Problème me: avec la hausse de la monnaie Helvétique face la devise européenne sur le mars des changes, les marchés aux changes, les marchés aux changes, les marchés aux changes. Ainsi, un couple de lois, qui a eu un pr t de 132 000 euros pour acheter un deux-pièces en 2008, doit ce jour encore 157 944 euros, alors quil a d j rembours 94 000 euros. Pourquoi de tel pr ts en francs suisses ? Parce qu l poque les taux dint r ts dans la Conf d ration helv tique tait plus bas quen France. Mais c tait sans compter sur le norme risque de change inh rent tout pr t souscrit dans un devise et un autre.
Une monnaie solide
Après une enquête judiciaire de plus de quatre ans ayant conduit à sa mise en examen, BNP Personal Finance comparaît pour «pratique commerciale trompeuse». Il lui est reproché de ne pas avoir suffisamment informé ses clients de tous les tenants et aboutissants de son prêt et des risques quil comportait. Des emprunteurs pris dans la tourmente affirment même quon les a rassurés lorsquils ont posé des questions. «Le franc suisse est une monnaie solide», leur a-t-on répété. Or, cest précisément parce que la monnaie helvétique est considérée comme une valeur refuge sur le marché des changes quelle a beaucoup grimpé face à leuro, notamment après la crise des dettes souveraines en 2010 au sein de lUnion européenne. «Le risque de change que comporte le prêt Helvet Immo est inintelligible pour le consommateur moyen. Dailleurs, le mot « risque » ne figure même pas dans le contrat de prêt», souligne lavocat Charles Constantin-Vallet, qui défend 1 150 emprunteurs dans ce procès. De son côté, la BNP PF conteste toute pratique trompeuse. «La banque nintervenait que sur le financement. La commercialisation du prêt étant assurée par les intermédiaires», argumente Ludovic Malgrain, son avocat.
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Tout lenjeu des débats sera donc de faire la lumière sur les circonstances dans lesquelles tous ces prêts ont été accordés et le degré dinformation réelle dont ont bénéficié les emprunteurs avant de sengager. Cest la première fois que se tient un procès pénal de cette ampleur sur une affaire de prêts bancaires. Laudience est prévue pour durer près de trois semaines, du 12 au 29 novembre. Il y a plus de 2 000 parties civiles pour une salle qui compte près de dix fois moins de places. De quoi poser des problèmes dintendance, en cas dafflux des emprunteurs concernés. Hypothèse peu probable : tous ne viendront pas. En tout cas, pas en même temps. Nombre dentre eux nhabitent pas la région parisienne et ne feront pas le déplacement dans la capitale. Dautres sont pris par leurs activités professionnelles et viendront au coup par coup.
Quoi quil en soit, en cas de besoin, le tribunal sera en mesure de retransmettre les d bats dans le lauditorium du Palais de justice qui compte 250 places. Trois organisations de fense des consommateurs, la CLCV, UFC-Que choisir et lAfoc, se sont galement constitutes parties. Ces associations viennent laction des marchés, qui selon eux doivent tre d dommag S. Elles agissent aussi pour que la justice condamne ces pratiques commerciales, et les d courage parvenir.
Pris au pi ge
Au total, 4 655 ménages ont souscrit des emprunts Helvet Immo entre mars 2008 et décembre 2009, avant que la banque ne cesse leur commercialisation. Parce que les écarts de taux dintérêts entre la Suisse et la France sétaient resserrés, explique aujourdhui la BNP. Sous-entendu, parce quil ny avait plus de pertinence à le proposer aux clients dans lHexagone. Mais parmi les parties civiles, daucuns considèrent que la banque a arrêté, car elle sest rendu compte fin 2009 que son prêt Helvet Immo prenait une mauvaise tournure. Contactés par Libération, nombre demprunteurs se sentent «pris au piège» de leur prêt, dont ils ignorent quel sera le coût final pour eux. Si au terme de leur emprunt, il leur reste du capital à rembourser (ce que démontrent les projections actuelles), ils devront régler le solde en cinq ans. Un scénario noir qui risque de les mettre sur la paille.
Le conseil de BNP PF, Me Malgrain assure le contraire : le contrat Helvet Immo, offre des portes de sortie, «en permettant aux emprunteurs de transformer – tous les trois ou cinq ans – leur emprunt suisse en euros». Selon lavocat, 60 % des emprunteurs auraient déjà procédé à cette conversion après des négociations avec la banque. Mais on ignore les pertes financières que les clients de BNP PF ont essuyées lors de cette opération. Le capital dû avait déjà considérablement augmenté avec lenvolée du franc suisse sur le marché des changes. Des emprunteurs y ont laissé des plumes. Certains de ces clients se sont dailleurs constitués partie civile dans le procès pour obtenir un dédommagement en réparation des pertes subies.
Photo Claude Pauquet
Ghislaine et Christian Nivault: Avec ma retraite, jai juste pour payer les mensualités
Christian et Ghislaine Nivault, 64 ans et 63 ans, habitant Montmorillon, aux alentours de Poitiers. En 2009, les normes respiratoires empruntent 262 900 euros. Ils ont d j rembours 171 444 euros et doivent encore 312 138 euros.
«Comment ceux qui ont élaboré ce montage financier peuvent encore se regarder dans un miroir, sachant quils ont brisé la vie de milliers de personnes en France ? Jai été démarché peu après 2008, une des rares bonnes années pour les agriculteurs. A quelques années de la retraite, je cherchais un moyen de transmettre du patrimoine à mes enfants. On ma présenté un bien à Achères (Yvelines). Et, pour le financer, un prêt avec un taux dintérêts moins cher que la moyenne, appuyé sur le franc suisse. Je me suis inquiété, mais on ma démontré la stabilité de cette monnaie. A partir de 2010, on sest rendu compte que le capital restant dû grimpait inexorablement. La BNP nous a dit de ne pas nous inquiéter. Ceux qui nous ont répondu paraissaient déconnectés. Jai travaillé toute ma vie et si je faisais une erreur sur lexploitation, jen assumais les conséquences. Eux nont pas su nous informer ni arrêter lengrenage. Dun jour à lautre, on se rend compte que toutes nos économies pour les vieux jours vont y passer. Avec ma retraite, jai juste assez pour payer les mensualités, alors on vit grâce à celle de ma femme. Jaimerais faire des voyages, mais cest impossible. Après le procès, je revendrai lappartement, je ne veux plus vivre avec ce poids. Quand je reçois le relevé de la BNP, je nouvre pas lenveloppe, je dois me faire violence pour voir lampleur de laugmentation. Cest une histoire dinquiétudes permanentes : cette nuit encore, je nai pas dormi.»
Photo Christophe Maout
Eric et Fatima Schlaepfer: Je place beaucoup despoir dans la justice française, peut-tre tort
Eric et Fatima Schlaepfer, 49 ans et 50 ans, vivent Longjumeau (Essonne). Ils utilisent 172 000 euros en 2009. Ils ont d Jours 120 943 euros et doivent encore 188 338 euros.
«Je ne demande pas à être riche mais juste quon me sorte de ce cauchemar. Nous avons souscrit le prêt en 2009 pour financer lachat dun appartement pour lequel nous avions été démarchés. Cétait bienvenu, car ma femme, cap-verdienne, naturalisée il y a seulement deux ans, naura pas une bonne retraite. Les fiscalistes voulaient faire vite : il ne restait plus quun seul bien et ils offraient un prêt clé en main. Au début, jétais sceptique, mais la BNP semblait être un gage de sérieux. En voyant que le montant dû augmentait petit à petit alors que je remboursais depuis déjà plusieurs mois, je suis tombé des nues. Quand jai réalisé lamplitude des dégâts, je nai pas dormi pendant trois jours. Comment expliquer à ma femme que lon sétait fait flouer, quau lieu dun complément de retraite quelle ne verrait jamais, il y avait seulement des milliers et des milliers deuros à rembourser ? On a joué de notre crédulité : les particuliers sont des novices dans lâme, ne connaissent pas toutes les ficelles du système financier. Quelques années après, notre boulangerie a été inondée, je narrivais plus à payer les mensualités. Ça devient une angoisse quand on narrive plus à rattraper les retards. Maintenant, le prêt fait partie de notre quotidien, il ny a pas déchappatoire, on ne pourra pas rembourser autant dargent. Je place beaucoup despoir dans la justice française, peut-être à tort : sil ny a pas une fin heureuse, on attend au moins une fin équitable.»
Photo Christophe Maout
Duong Kunthi et Chamroeunmina Hing: on se retrouve d sormais pris au pi ge, le projet de notre famille est mis en p ril
Duong Kunthi et Chamroeunmina Hing, 51 et 34 ans, habitant Saint-Germain-en-Laye (Yvelines). En 2008, ils utilisent 121 000 euros. Ils ont d Jours 84 379 euros et ils doivent encore 138 742 euros.
«Ma femme était enceinte de notre fille de 11 ans quand nous avons souscrit à ce prêt : dune durée de 20 ans, léchéance correspondait au moment où elle entrerait à luniversité. Le prêt qui ma été présenté, pour financer lachat dun appartement à Lyon à mettre en location, ma donné confiance. Ils ont mis en avant le fait que la Suisse était un pays de banques, de finance, et que le franc suisse était une monnaie stable. Le tout financé par la BNP, une banque de renom. Personne ne ma informé des risques liés aux hausses du taux de change, tout a été présenté comme un montage financier courant. Seuls des spécialistes pouvaient prévoir le risque. Nous navions pas les infos nécessaires : si javais su que le montant risquait de doubler, je naurais pas signé.
«On se retrouve désormais pris au piège : même si on ma proposé de convertir le prêt en euros, le restant dû a augmenté, donc la durée du prêt aussi, et les intérêts qui vont avec. Cest un cercle vicieux. Le projet de notre famille est mis en péril. Je ne pourrai plus fournir ce que javais imaginé pour financer les études de ma fille ni massurer une bonne retraite. En tant que libéral, car je donne des cours de soutien de physique et ma femme est mère au foyer, il nous fallait un complément. Jattends de ce procès que la BNP Personal Finance soit déclarée fautive de navoir pas présenté le produit de manière honnête et que lon puisse être dédommagés de la hausse. Je ne cherche pas à gagner de largent mais juste à pouvoir men sortir, et empêcher que ce type de cas se reproduise : des centaines de personnes sont prises au piège comme nous, cest un cauchemar.»
Tonino Serafini