Décès de Raymond Poulidor, un champion si «poupoulaire» – Le Parisien

Au paradis des coureurs où le Normand l’attend depuis novembre 1987, Jacques Anquetil a dû lui tomber dans les bras. Longtemps rivaux, ils avaient fini par devenir amis, presque frères. Quelques heures avant de grimper sa dernière ascension, la plus pénible, vers le ciel, Anquetil avait glissé à son vieux complice : « Tu vois Raymond, cette course-là, tu vas encore la perdre et finir deuxième. »

Trente-deux ans après, « Poupou » a donc franchi la ligne à son tour. Raymond Poulidor est mort dans la nuit de mardi à mercredi à l’âge de 83 ans. Une triste nouvelle annoncée par L’Equipe, que la famille de la légende du cyclisme tricolore nous a ensuite confirmée.

Anquetil et Poulidor vont désormais passer l’éternité à se rappeler leur lutte en selle qui a divisé la France des années de Gaulle en deux. Ils se souviendront de ce duel épique sur les pentes du puy de Dôme un jour d’été 1964 : « La France était coupée en deux. Des couples ont divorcé parce que la femme était pour Anquetil, le mari pour Poulidor », disait ce dernier. Ça doit les faire marrer.

« Poupou » est parti et avec lui, s’est envolée une nouvelle partie de notre enfance. « Les plus jeunes ne me connaissent pas. Mais, souvent, ils ont entendu parler de moi par leurs parents ou grands-parents. Alors ils m’abordent en me disant : C’est vous, Poulidor? Celui qui finit toujours deuxième? Ça me fait bien sourire. Je suis devenu une marque », nous disait-il avec un sourire en juin dernier.

Poulidor, c’était la France des sixties. Le souvenir d’une époque quand on regardait le Tour sur une petite télé en noir et blanc au camping ou qu’on l’écoutait à la radio sur la route des vacances dans la R16 de papa. Quand il gagna en 1974, une étape d’anthologie au Pla d’Adet., la France orpheline de champion s’est collé l’oreille au transistor prête à exploser de bonheur. On vous parle d’un temps que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître.

« Poupou », c’était le symbole d’une France de province attachée à sa terre et proche de ses sous. Une certaine idée d’une nation de sport qui ne gagnait jamais et se reconnaissait dans cet homme dur au mal et courageux. Raymond était la figure le plus « poupoulaire » du pays de nos parents, une icône : « Un jour, raconta-t-il, Jacques (Anquetil) m’a dit « Raymond, tu continues à m’emmerder. Ma fille sait dire « Poupou » avant « Papa » »

Parce que Poulidor, c’était aussi et peut-être avant tout un nom entré dans la langue populaire. Un « Poulidor », c’est toujours celui qui finit deuxième et ne gagne jamais. C’est injuste eu égard à son immense palmarès mais il s’en amusait lui-même : « Mon nom est entré dans le langage commun parce que je n’ai jamais gagné le Tour de France. Encore aujourd’hui, on dit d’un homme politique, d’un sportif ou d’un individu qui arrive deuxième : C’est un « Poulidor » » Il nous disait ces mots il y a quelques mois seulement avant de prendre le départ de son 56e Tour de France en tant que coureur ou suiveur.

« Poupou » en effet n’a jamais gagné le Tour de France, n’a jamais porté le maillot jaune, pas même une seconde au hasard d’une étape. Il n’en avait pas de regret, du moins publiquement : « Ce maillot jaune, clamait-il, si je l’avais porté, je ne serais pas Poulidor. Si j’avais gagné un Tour ou deux et si j’avais porté la précieuse tunique, je suis sûr qu’on ne parlerait plus de moi. » Il avait sans doute raison.

Raymond Poulidor est descendu de vélo au milieu des années 1970 à plus de 40 ans. Pourtant sa popularité n’a jamais faibli. Quand il signait un livre dans n’importe quel supermarché de cette France profonde qui le vénérait, les queues pour lui serrer la main s’étendaient au-delà des rayons.

Le grand-père disait à son fils qui le répétait au sien combien ce brave paysan du Limousin méritait le respect. Oui, Raymond Poulidor était aussi un paysan né l’année du Front populaire dans le centre d’une France que le confort du XXe siècle n’avait pas encore touché. C’est de cette nature austère qu’il a puisé sa force, celle qui a fait qu’il n’a jamais abandonné. Grâce à elle qu’il fut un grand, un immense champion.

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Raymond Poulidor a participé 14 fois au Tour de France, un record. Il a terminé huit fois sur le podium, remporté le Tour d’Espagne en 1964, le Championnat de France en 1961. Il a accroché Paris-Nice, le Dauphiné libéré, Milan – San Remo à son palmarès, prit la deuxième place du Championnat du monde en 1974. Il a eu une carrière fantastique. Seulement pour son malheur et sa postérité, il l’a commencée avec Jacques Anquetil et l’a terminée avec Eddy Merckx. Il fut le plus coriace adversaire de ces deux légendes, leur égal ou presque à un maillot jaune près.

Raymond Poulidor est parti. Là-haut, un ange l’a attendu. En guise de bienvenue, il lui a tendu un vélo et offert un maillot cousu de fils d’or qu’il a tant désiré. Il lui a soufflé à l’oreille : « Allez Poupou ! »

VIDÉO. En 2016, «Poupou» fêtait ses 80 ans sur le Tour de France

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