Rassemblement détudiants devant le Crous, quatre jours après quun jeune homme sest immolé par le feu, à Lyon, le 12 novembre. PHILIPPE DESMAZES / AFP
Dans plusieurs établissements, le retour sur les bancs universitaires, mardi 12 novembre, sest fait dans lémotion. Quatre jours plus tôt, juste avant le long week-end du 11-Novembre, Anas K. sest immolé par le feu devant le bâtiment du Centre régional des uvres universitaires et scolaires (Crous) de la Madeleine, à Lyon. Cet étudiant de 22 ans a laissé un message dénonçant sa situation de précarité.
Un appel à se rassembler dans toute la France était lancé par le syndicat Solidaires étudiant.e.s, auquel appartient le jeune homme, gravement brûlé et toujours entre la vie et la mort à lhôpital, mardi soir. Cet appel a enregistré le soutien de plusieurs autres organisations étudiantes et enseignantes, et celui dune poignée de partis politiques (Europe écologie-Les Verts, la Gauche démocratique et sociale, La France insoumise, le NPA).
Plusieurs centaines de jeunes, denseignants, de syndicalistes se sont réunis dans une quarantaine de villes daprès Solidaires en hommage à létudiant et pour dénoncer la précarité étudiante. Cette même précarité quAnas K. a lui-même racontée, dans un post sur Facebook, avant sa tentative de suicide. A Saint-Etienne, ville dont il est originaire, ils étaient 150, rapporte lAgence France-Presse (AFP). A Bordeaux, dans laprès-midi, ils étaient quelques dizaines devant le bâtiment de la Victoire, plus dune centaine devant le Crous. à A Lyon, Lille ou Paris, ces rassemblements se sont soldés par des incidents.
Au rassemblement de soutien à Anas devant le CROUS de Saint-Étienne.
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Une conférence de Hollande annulée
Dans la capitale, après un rassemblement devant le Crous du Port-Royal, un cortège a marché en fin de journée sur le boulevard Saint-Michel. Aux alentours de 20 heures, des vidéos partagées sur les réseaux sociaux ont fait état dintrusions de manifestants dans la cour extérieure du ministère de lenseignement supérieur. Après avoir arraché une grille dentrée, les manifestants sont repartis, à la suite dune intervention de la police.
Occupation pendant plusieurs minutes de la cour du Ministère de lenseignement supérieur et de la recherche à Pari https://t.co/Vl7WXsWYxb
? CharlesBaudry (@Charles Baudry)
Dans le Nord, devant le Crous de Lille, quelque 300 à 400 personnes se sont rassemblées, derrière des pancartes « La précarité tue, la solidarité fait vivre ». Sur les banderoles, beaucoup ont repris le slogan avec lequel Anas K. a conclu son dernier message : « Vive le socialisme, vive lautogestion, vive la Sécu. » Des étudiants ont ensuite défilé dans les rues, et pénétré dans la faculté de droit, où ils ont empêché la tenue dune conférence de François Hollande. Lintrusion sest faite aux cris de « Lyon, Lyon, ni oubli, ni pardon », « Hollande assassin ! », certains déchirant les pages de son dernier livre.
Scène incroyable à la fac. Les étudiants ont forcé lentrée et balancent les livres dHollande qui nest pas la. Gr https://t.co/EY7apsec5Z
? francoislaunay (@François Launay)
Luniversité lilloise a exprimé « sa consternation et condamné les débordements survenus », avec « lintrusion de manifestants en partie extérieurs à létablissement ». Lancien président de la République, lui, a dit comprendre une « émotion légitime », regrettant toutefois « que cette émotion se soit transformée en violence ». Dans un communiqué publié en fin de soirée, la ministre de lenseignement supérieur, Frédérique Vidal, a condamné « fermement les violences et les dégradations qui ont eu lieu en marge des rassemblements ». « Le geste tragique commis par un jeune homme vendredi dernier suscite une émotion légitime, mais la violence ne peut pas avoir de place à luniversité », a-t-elle réagi.
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« Un geste éminemment politique »
A Lyon, le rassemblement avait débuté à 10 heures, devant le Crous de la Madeleine, là où Anas K. est passé à lacte, le 8 novembre. Au micro, sa compagne a lu le message quil a posté sur les réseaux sociaux, devant une assemblée de plusieurs centaines de personnes. Létudiant en sciences politiques y évoque ses difficultés financières, sa perte de bourse après trois redoublements en deuxième année de licence « même quand jen avais, 450 euros par mois, est-ce suffisant pour vivre ? » et demande que « ses camarades continuent de lutter », en énonçant de nombreuses revendications, dont celle du « salaire étudiant ». En fin de matinée, le cortège sest dirigé vers les bâtiments de luniversité Lyon-II. Une assemblée générale y a voté en faveur du « blocage » de la grande université de sciences humaines. Plusieurs dizaines de personnes ont pénétré dans les locaux de la présidence de luniversité dans laprès-midi, avant que la présidence ne décide de la fermeture administrative du bâtiment.
Sur le parvis du Crous lyonnais, quelques heures plus tôt, derrière les larmes de nombre de jeunes choqués, la colère sexprimait sans retenue, parmi ses « camarades » de Solidaires ou encore chez les syndicalistes venus apporter leur soutien, de FO, de la CGT. « Conditions de vie décentes pour tout-es les étudiants », pouvait-on lire sur les affiches, entre les drapeaux syndicaux. Les mots dordre traditionnels des luttes étudiantes ont été scandés par un public visiblement habitué des mobilisations : « Les jeunes dans la galère ; les vieux dans la misère ; cette société, on nen veut pas. »
Ce « geste désespéré reflétait sa situation personnelle », mais il constitue aussi « un geste éminemment politique », défend un étudiant lyonnais à la tribune. « La tristesse sest transformée en colère et en rage », dit Jean-Baptiste, camarade de promo dAnas K., et membre de Solidaires. Contre ce système qui broie des vies, contre ce gouvernement : ce que nous attendons maintenant, ce sont des réponses. » Le « soutien de Frédérique Vidal [ministre de lenseignement supérieur], cest gentil, mais ce quon veut cest des actes, cest plus de bourses, cest un salaire étudiant, cest des logements », poursuit-il.
Dans les rangs étudiants, le soupçon « dinstrumentalisation » ou de « récupération » entendu dans des cercles politiques, ou le renvoi à la « situation personnelle » dAnas K., suscitent lincompréhension. « On est nombreux à sidentifier à sa détresse sociale », lâche une étudiante. « Jai la chance davoir une bourse de 480 euros, relate Hanna, étudiante à Lyon-II en première année de lettres. Mais les conditions détudes ne sont pas simples, je dois vivre chez ma sur, il me faut presque deux heures pour venir à la fac, matin et soir, on est nombreux à ne pas avoir les moyens de vivre à Lyon. »
« Je comprends son geste, abonde Hind, étudiante en master 1 de sociologie. Je vis, comme lui, avec une bourse de 450 euros par mois, et je sais quon narrive pas à vivre. » Après avoir retiré ses charges incompressibles (loyer en chambre étudiante Crous, transports, téléphone), la jeune femme dit jongler avec 100 euros. Ses parents nont pas les moyens de laider. « A la rentrée, cest encore pire, je navais plus rien à partir du 15 du mois, relate-t-elle. On ne mange pas à tous les repas. Oui, ça impacte sur le mental de ne pas savoir comment on va finir le mois. »
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Camille Stromboni
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