Lancien président bolivien Evo Morales accueilli par le chef de la diplomatie mexicaine, Marcelo Ebrard, le 12 novembre à Mexico. EDGARD GARRIDO / REUTERS
Cest décoiffé et les traits tirés que lancien président bolivien, Evo Morales, a débarqué, mardi 12 novembre, à laéroport de Mexico. La veille, son départ de Bolivie sest converti en casse-tête pour les autorités du Mexique qui venaient de lui accorder lasile politique après sa démission. Son périple rocambolesque, fait ditinéraires et descales chaotiques, révèle la division des pays latino-américains face à la crise bolivienne.
« Le président mexicain ma sauvé la vie », a remercié à sa descente davion M. Morales, qui a quitté le pouvoir dimanche sous la pression de larmée après sa réélection contestée. Le chef de la diplomatie mexicaine, Marcelo Ebrard, a expliqué les « tensions » qui ont retardé son vol lors dune conférence de presse.
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Lundi matin, un avion de larmée mexicaine décolle pour aller chercher M. Morales. Lappareil fait escale à Lima, au Pérou, le temps de solliciter auprès du gouvernement bolivien les autorisations pour atterrir sur laéroport de Chimoré, dans le département de Cochabamba, dans le centre de la Bolivie. « Cela a pris plusieurs heures car personne ne sait bien qui décide en Bolivie », a expliqué M. Ebrard. La démission du chef de lEtat a en effet été suivie par celles de ses principaux suppléants, prévus par la Constitution, tel son vice-président, Alvaro Garcia Linera, qui a débarqué avec lui à Mexico. Depuis, Jeanine Añez, seconde vice-présidente du Sénat, issue de lopposition, revendique la présidence par intérim.
« Il a fallu trouver un plan B »
La confusion ambiante explique sans doute pourquoi léquipage mexicain apprend, en plein vol, que sa permission datterrissage en Bolivie lui est subitement retirée, lobligeant à retourner à Lima. Le commandant des forces aériennes boliviennes finit par donner son autorisation. « Cela en dit long sur qui contrôle le pays », a commenté M. Ebrard.
Monté à bord de lappareil, M. Morales reste cloué au sol bolivien : les autorités péruviennes refusent dautoriser lavion à faire le plein à Lima. « Ce fut le moment le plus tendu, a confié M. Ebrard. Ses sympathisantsétaient autour de laéroport et les forces armées de Bolivie à lintérieur. Il a fallu trouver un plan B. »
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Le salut de lancien chef dEtat, au pouvoir durant plus de treize ans, viendra du Paraguay voisin, où lavion se ravitaille finalement en carburant. Mais sa volonté de traverser la Bolivie est vite remise en cause par la volte-face des autorités boliviennes, qui refusent le survol de leur territoire. M. Ebrard appelle alors au secours le gouvernement brésilien. Les diplomates dItamaraty, le ministère des affaires étrangères brésilien, acceptent que lavion longe sa frontière avec la Bolivie. LEquateur se décide ensuite à le laisser passer pour rejoindre les eaux internationales jusquà Mexico.
« Coup dEtat »
« Un voyage à travers la politique latino-américaine », a résumé Marcelo Ebrard, qui sest bien gardé de lister explicitement les gouvernements conservateurs, alignés sur la position américaine. Le président Donald Trump a en effet applaudi linitiative de larmée bolivienne dexiger le départ de M. Morales, le considérant comme « un signal fort aux régimes illégitimes du Venezuela et du Nicaragua ». Ces derniers, alliés de M. Morales, ont dénoncé un « coup dEtat ».
Lexpression est aussi employée par Mexico, qui a souligné le rôle clé joué par le président élu argentin, Alberto Fernandez, dont lentrée en fonction est prévue le 10 décembre. Cest lui qui a persuadé le gouvernement paraguayen dautoriser lescale sur son sol, permettant que M. Morales senvole pour Mexico. Une division régionale ressentie lors de la réunion de lOrganisation des Etats américains (OEA) qui sest tenue, mardi, à Washington.
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Le secrétaire général de lOEA, Luis Almagro, a en effet soutenu quil y avait bien eu « un coup dEtat en Bolivie », mais quil « sest produit le 20 octobre, quand une fraude électorale a été commise avec pour conséquence la victoire de lex-président Evo Morales au premier tour ». « Nous nous demandons quelles sont vos priorités », lui a rétorqué lambassadrice du Mexique devant lOEA, Luz Elena Bolaños.
M. Morales arborait, à sa descente davion, un large sourire de soulagement qui contrastait avec son visage crispé sur la seule photo rendue publique de son odyssée, le montrant assis dans lavion avec un grand drapeau du Mexique dans les mains. Il a promis de « poursuivre la lutte ». Lancien chef dEtat, âgé de 60 ans, est ensuite monté dans un hélicoptère mexicain pour une destination tenue secrète au nom de sa sécurité.
Frédéric Saliba
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