« Je n’ai jamais vu ça » : à Venise, les habitants sous le choc de la violence de la crue – Le Monde

La crypte de la basilique Saint-Marc à Venise en Italie, le 13 novembre. MARCO BERTORELLO / AFP

Si Venise doit mourir un jour, cela commencera sans doute comme ça. Soudain, une sirène jaillit des haut-parleurs et retentit dans tout le centre de la ville, pour annoncer la prochaine montée des eaux, dans les trois heures. A ce moment-là, chaque Vénitien tend loreille, attendant le deuxième signal, modulé, qui arrive quelques secondes plus tard et indique lampleur de la crue.

Quand lalarme reste sur un ton, lalerte est sans gravité : les eaux dépasseront seulement la cote de 110 centimètres sur la petite station dobservation de la pointe de la Salute, à lentrée du grand canal. Leau frôlera le rebord de quelques fondamente (les quais de Venise), mais elle nenvahira que la place Saint-Marc et quelques rues alentour. A ce stade, lacqua alta est à peine plus quun amusement. Elle ne gêne pas grand monde, nettoie les canaux les plus étroits et permet même aux touristes de faire de belles photos.

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A deux tons, leau gagnera un bon quart de la ville, et il faudra bien connaître la géographie du centre pour choisir son itinéraire. Lactivité économique est ralentie, certains lieux ferment, mais lalerte reste assez anodine. A trois tons, les affaires sérieuses commencent : leau devrait dépasser la cote de 130 centimètres, sinsinuant dans les halls dimmeuble et les magasins qui nont pas été suffisamment rehaussés.

Si la sonnerie à quatre tons retentit, alors, plus personne ne plaisante. La crue dépassera la cote de 140 centimètres, synonyme de crue exceptionnelle. Plus de la moitié de la ville est sous leau, les barrières métalliques placées à lentrée des immeubles perdent toute utilité. Venise est à la merci des événements, et tout peut arriver.

Dans le palais Gritti, à Venis, le 13 novembre. MARCO BERTORELLO / AFP

Mardi 12 novembre en fin daprès-midi, les quatre tons ont retenti. Puis leau na cessé de monter, jusquà atteindre, peu avant 23 heures, la hauteur cauchemardesque de 187 centimètres. Un tel niveau, qui signifie que la place Saint-Marc, joyau de la ville, se trouve sous près dun mètre deau, navait pas été atteint depuis lacqua granda du 4 novembre 1966 (194 cm), soit plus dun demi-siècle.

Enfin, leau a commencé lentement à se retirer, laissant derrière elle une ville meurtrie, sans doute plus dun milliard deuros de dégâts, et, dans la population, un mélange amer de colère et de désarroi.

Mercredi en fin de matinée, lorsquil est apparu, les traits défaits et la voix tremblante, pour une conférence de presse improvisée, le maire de Venise, Luigi Brugnaro, dordinaire bravache, a tenu à sexcuser auprès de ses concitoyens, avant dassurer quil mettrait tout en uvre pour obtenir la mise en sécurité de la ville, promise depuis cinquante ans, mais jamais réalisée. « Nous devons prouver que nous y arriverons », a-t-il lancé, avant daffirmer que dans laffaire, « nous jouons notre crédibilité internationale ».

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