Cest une nouvelle vie qui soffre à Thierry Breton. Lancien PDG dAtos a réussi son pari. Il a été confirmé jeudi au poste de commissaire européen. Un soulagement pour celui qui avait choisi de quitter le groupe du CAC 40 quil dirigeait après quEmmanuel Macron lui a proposé de rejoindre la Commission suite au rejet de la première candidate proposée par la France, Sylvie Goulard. Un soulagement surtout pour lÉlysée, qui redoutait un nouveau camouflet et où cette affaire a été suivie comme le lait sur le feu. La présidence a dailleurs salué «une très bonne nouvelle».
À lissue dune audition de trois heures, le PPE, les sociaux-démocrates, les conservateurs de lECR et Renew, dont il est membre, ont apporté leur soutien à Thierry Breton. Sortant de cette audition, sourire aux lèvres, lex-PDG semblait convaincu davoir gagné la partie. «Êtes-vous satisfait?» «Carrément», répondait-il alors.
Rien à voir avec son attitude trois heures plus tôt. Lorsquil arrive au pas de charge au Parlement européen, lex-ministre ne lâche pas un mot, ne jette pas un regard. Il a seulement un imperceptible sourire au coin des lèvres. Sait-il seulement ce qui lattend? Bien sûr que oui. Laudition par laquelle il lui faut passer pour décrocher ce très lourd poste de commissaire promis à la France – marché intérieur, numérique, défense et espace, etc. – ne peut être une formalité. Il concourt pour être le premier grand patron à passer directement dune entreprise de taille mondiale à la Commission européenne. Impensable pour la gauche.
Bien sûr, son débit est très rapide, très saccadé. Son ton est sec. Thierry Breton est parfois inaudible comme il létait à Bercy au milieu des années 2000. Il faut saccrocher aussi quand il est question de la 5G et «bientôt la 6G», du «post-cloud», de l«internet des objets» ou du «hedge computing». Certains frémissent lorsque, interrogé sur le formulaire A1 – le sésame des travailleurs détachés -, il patauge un peu au début de sa réponse avant de retomber sur ses pieds. Mais là nest pas le plus important. Thierry Breton doit impérativement réussir sa présentation pour séduire dès le début les quatre commissions qui lauditionnent, en tête celle du marché intérieur (Imco) et celle de lIndustrie (Itré) chargées de son évaluation. Il a un quart dheure pour cela.
Son objectif premier est de faire comprendre aux uns et aux autres quon ne peut lenfermer dans la case du grand patron.
Son objectif premier est de faire comprendre aux uns et aux autres quon ne peut lenfermer dans la case du grand patron. Il détaille donc ses multiples «passions»- parmi lesquelles lEurope, bien sûr – et son parcours de «jeune créateur dentreprise à élu», «de dirigeant de grandes entreprises à ministre», «de professeur de gouvernance à spécialistes des technologies de linformation». Sur les questions de conflit dintérêts, il multiplie les explications et les assurances, en choisissant de mettre les pieds dans le plat dès le début. «Si vous me confirmez, je vous le dis haut et fort, je naurai quune seule boussole: lintérêt supérieur européen», assure-t-il. Bien sûr, il na pu éviter les questions sur le sujet. Mais, sans jamais sagacer, il a chaque fois tenté de clarifier les choses. A-t-il bien cédé toutes ses actions dAtos? «Jai estimé que cétait mon devoir de le faire. Jai une attestation qui démontre que les titres ont été cédés sur le marché et à aucun membre de ma famille».
Va-t-il toucher une retraite-chapeau de son ex-employeur? «Je ne la toucherai que lorsque je quitterai la Commission», affirme-t-il encore, ajoutant que les fonds en question nont désormais plus aucun lien avec son ancien employeur. «Il a parfaitement joué en simposant à lui-même des critères éthiques au-delà même des règles», résume leurodéputé LR Geoffroy Didier. Contrairement à Sylvie Goulard, Thierry Breton est surtout resté droit dans ses bottes. Il a promis de se déporter dès lors que des décisions portant sur Atos devraient être prises. Mais a refusé net de se dessaisir des questions portant sur les secteurs dans lesquels Atos évolue, à savoir les supercalculateurs, lintelligence artificielle ou encore la cybersécurité. «Une aberration», selon lui. «Peut-être que ça ne vous plaira pas. Eh bien, vous ne voterez pas» en ma faveur, a-t-il dit au socialiste Tiemo Wölken. À plusieurs reprises, il a ainsi mis au défi ses opposants, les invitant «à prendre leurs responsabilités». Cette stratégie a fonctionné à merveille. Et a permis de faire basculer les sociaux-démocrates réticents.
Au terme de cette journée marathon, la présidente élue, Ursula von der Leyen, voit lhorizon se dégager et peut désormais espérer installer la nouvelle Commission le 1er décembre. La seconde commissaire proposée par la Roumanie, Adina Valean (Transports) a aussi été confirmée jeudi. Le nouveau commissaire hongrois Oliver Varhelyi (Élargissement) devra, en revanche, répondre à cinq nouvelles questions écrites. Renew, qui la bloqué à la surprise générale, aurait promis au PPE de le laisser passer la semaine prochaine. «Chez Renew, ils ne sont plus en marche, ils sont en roue libre», soupirait mercredi soir un membre du PPE.