Les collaborateurs de Ségolène Royal au ministère des Affaires étrangères sont parfois vus sur des missions qui semblent assez éloignées de la diplomatie polaire. C’est ce que révèle l’enquête de la cellule investigation de Radio France. Ce 7 avril 2018, une grosse berline allemande dépose Ségolène Royal à Selles-sur-Cher (Loir-et-Cher) où lattendent le préfet, un sénateur, un député, quelques élus locaux et une foule de badauds. Le temps de couper le ruban dune inauguration de chaufferie, la voici repartie, suivie par deux collaborateurs pour une visite du zoo de Beauval, avant daller passer la nuit dans une suite du château de Selles-sur Cher.
La nouvelle vie de Ségolène Royal ressemble parfois à sy méprendre à lancienne, celle quelle menait quand elle était encore ministre de lEnvironnement. Lancienne candidate PS à la présidentielle de 2007 continue de multiplier les déplacements en province, les séances de dédicace de ses ouvrages et les opérations de promotion de sa fondation, Désirs davenir pour la planète, créée en février 2018. Pourtant, la seule fonction officielle quon lui connaisse est celle dambassadrice chargée de la négociation internationale sur les pôles Arctique et Antarctique. Un poste sur lequel elle été nommée par Emmanuel Macron en juillet 2017, prenant ainsi la succession de Michel Rocard, décédé un an plus tôt.
Mais Ségolène Royal na pas lâché le combat politique. Au point de ne jamais totalement évacuer la possibilité dune nouvelle candidature à la présidentielle (comme dans cette interview sur Radio Canada, aux alentours de 10’45 »), quitte pour cela à nexercer, semble-t-il, ses fonctions au Quai dOrsay quà temps partiel. Et à utiliser les moyens mis à sa disposition par le ministère des Affaires étrangères à des fins a priori éloignées de leur objet initial. Ce 7 avril 2018 dans le Loir-et-Cher, les deux collaborateurs qui laccompagnaient étaient en effet son assistante personnelle et son conseiller en communication attachés à son cabinet dambassadrice.
Pour continuer à être présente sur le terrain, Ségolène Royal a une méthode : elle inaugure des réalisations quelle a lancées du temps où elle était ministre de lEnvironnement dans le cadre des TEPCV (territoires à énergie positive pour la croissance verte). Ce dispositif permettait aux collectivités dobtenir une aide de lÉtat pour des projets très variés, allant de la rénovation de bâtiments à la création de ruches dans les écoles. Plus de 200 communes en ont bénéficié, devenant autant de possibilités dinvitations pour Ségolène Royal. Outre Selles-sur-Cher, on la ainsi vue ces derniers mois inaugurer une aire de covoiturage à Confrançon, dans lAin, ou couper le ruban de la nouvelle mairie de Gerde, dans les Hautes-Pyrénées.
Ces déplacements nont pas échappé à lépoque au cabinet de son successeur, Nicolas Hulot, qui les regardait dun il un brin agacé. « Les TEPCV, cétait bien sur le principe, se souvient un ancien membre de léquipe Hulot, mais quand on est arrivés, on sest rendu compte quil manquait les deux tiers de largent. Cétaient des projets lancés en fin de quinquennat, pas financés. Ils avaient signé des chèques en blanc, et nous, il fallait quon les honore ! Pendant quelle coupait les rubans et posait pour la photo, nous on se battait avec Bercy pour récupérer les crédits. Forcément, ça nous a un peu agacés. » Ségolène Royal, de son côté, a assuré que les crédits existaient bel et bien, dans une lettre ouverte quelle concluait en expliquant aux élus locaux quelle serait « toujours heureuse de venir voir la réalisation de [leurs] projets pour [les] encourager et [les] féliciter ».
Sur la plupart de ces déplacements, Ségolène Royal est rarement seule. Elle est presque toujours accompagnée de son assistante personnelle, qui la suit depuis lépoque où elle était députée, ou de son conseiller en communication. Ces deux salariés à plein temps font partie des moyens que Ségolène Royal a obtenus lors de sa nomination comme ambassadrice. Elle peut également régulièrement compter sur un troisième collaborateur, chargé de mission, embauché pour des missions en CDD de six mois. Si tous sont contractuels du ministère des Affaires étrangères, tous ont été vus ces 18 derniers mois accompagnant Ségolène Royal sur des événements sans rapport apparent avec sa mission dambassadrice. On retrouve ainsi son assistante personnelle le 4 juin 2018 pour une visite d’usine et une inauguration d’hôpital en Poitou-Charentes. Son conseiller en communication était quant à lui présent dans lAin, à Confrançon, pour l’inauguration d’une aire de covoiturage, ou pour celle du salon Cosmetic 360 à Paris en octobre 2019. Mais ce ne sont pas là leurs seules tâches qui interrogent.
Tweet de Ségolène Royal le 16 décembre 2018 lors dune dédicace de son livre « Ce que je peux enfin vous dire », à Rome. (CAPTURE D’ECRAN TWITTER)
Lun comme lautre se sont impliqués dans la promotion du dernier livre de Ségolène Royal Ce que je peux enfin vous dire (Fayard, 2019). Daprès les informations de la cellule investigation de Radio France, sa collaboratrice du Quai dOrsay était ainsi à Montpellier et à Poitiers, les 7 et 18 décembre 2018, pour des conférences suivies de séances de dédicaces, puis à Brest le 30 avril 2019. Son conseiller était lui présent à Bruxelles le 11 décembre 2018 et à Canteleu, près de Rouen, le 15 mars 2019 dans le cadre de la tournée littéraire de lancienne ministre.
La nature de ces missions ne semble pas avoir interrogé les collaborateurs de Ségolène Royal : une ancienne chargée de mission, qui a travaillé six mois à ses côtés au ministère des Affaires étrangères, indique ainsi dans le CV quelle a mis en ligne quelle a participé à lorganisation dautres conférences de promotion du livre de l’ancienne ministre. Un ancien collaborateur à qui la présence de ses ex-collègues sur ces déplacements na pas échappé nous confie, sous couvert danonymat : « À sa décharge, elle a toujours été habituée à avoir un staff autour delle. Et puis statutairement, ce nest pas une diplomate lambda, ça paraît compliqué de la voir prendre le métro toute seule pour aller à ses rendez-vous. Mais bon, malgré tout, une ambassadrice ne devrait pas faire ça. »
Le cabinet de Ségolène Royal a également été mis à contribution pour une autre composante de son activité personnelle : la fondation Désirs davenir pour la planète. Créée en février 2018, elle promeut notamment des projets de création de « maternités solaires » en Afrique. Là encore, daprès nos informations, le conseiller communication de Ségolène Royal sest impliqué personnellement. Un document de lambassade France au Sénégal (voir ci-dessous) explique quil a effectué un voyage de deux jours pour constater lavancée des projets en Casamance.
Deux témoins qui ont souhaité garder lanonymat nous ont par ailleurs confirmé que ce même collaborateur du ministère était leur interlocuteur sur lappel à projet « Cinéma et climat » lancé par la fondation de Ségolène Royal. Enfin, ce contractuel du Quai dOrsay est intervenu sur un partenariat noué entre Désirs davenir pour la planète et la société Lunéale. Il était dailleurs présent sur un événement public organisé à Paris en compagnie dune chargée de mission de lambassadrice des pôles, tous deux présentés comme « léquipe de Ségolène Royal », par lassociation organisatrice.
Photo de lévènement Mon corps, ma planète !, organisé le 4 mars 2019 à Paris. Les deux personnes à gauche sont des collaborateurs de lambassadrice des pôles. (CAPTURE D’ECRAN FACEBOOK LUNEALE)
Au quotidien, lex-ministre peut également compter sur laide danciens collaborateurs, toujours fidèles. Durant la promotion de son livre, à la fin de lannée 2018, Maryline Simoné a ainsi assuré ses relations avec la presse. Ségolène Royal avait fait de cette élue de Poitou-Charentes sa directrice de la communication au ministère de lEnvironnement. Elle a été nommée, sur proposition de son ancienne patronne, inspectrice générale de ladministration du développement durable. Une nomination qui a avait suscité quelques commentaires sur fond de soupçons de « recasage ». Maryline Simoné reste néanmoins proche de son ancienne patronne. Très proche même, quand elle laccompagne sur certaines dédicaces de son livre (elle était notamment à celle de Brest précédemment mentionnée), ou lorsquelle assure la relecture des interviews données en vue de la sortie du livre, comme nous la confirmé une journaliste.
Lorsquelle est invitée sur les plateaux de télévision ou dans les studios de radio, on aperçoit aussi souvent Raphaël Sart en régie. L’ex-conseiller presse du ministère de lEnvironnement est aujourdhui le directeur de la communication du Centre national détudes spatiales (Cnes), mais il conseillerait toujours son ex-patronne. Daprès nos informations, il sest également investi dans la création de sa fondation notamment lors de la tentative avortée dy associer le spationaute Thomas Pesquet (voir notre enquête sur la fondation Ségolène Royal).
Dans le sillage de Ségolène Royal, on croise aussi parfois la silhouette massive de Jacques Barberye. Son ancien chef de cabinet au ministère de lEnvironnement est lui parti vers lAgence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), après lélection dEmmanuel Macron. Cet ancien militant ségoléniste de la campagne présidentielle de 2007 et des primaires en 2011 nest resté à lAdeme que quelques mois, avant de créer sa société, Enaircom, spécialisée dans les énergies renouvelables. À en croire son profil LinkedIn, Jacques Barberye cumule cette fonction avec celle de « chef de cabinet de Ségolène Royal » au sein de sa fondation Désirs davenir pour la planète.
Ségolène Royal aux obsèques de Jacques Chirac, en compagnie de Jacques Barberye, le 30 septembre 2019. (MARTIN BUREAU / AFP)
De fait, il laccompagnait ces derniers mois lors de déplacements au Togo, au Cameroun ou au Sénégal. Daprès les informations de la cellule investigation de Radio France, Jacques Barberye travaillerait, via sa société, pour les gouvernements de certains de ces pays. Il est notamment intervenu sur le dernier forum entre le Togo et lUnion européenne et a accompagné une délégation de chefs dentreprise français spécialisés dans les énergies renouvelables dans le pays. En théorie, ayant quitté le ministère de lEnvironnement depuis moins de trois ans, Jacques Barberye aurait normalement dû saisir la commission de déontologie de la fonction publique afin quelle se prononce sur les éventuels problèmes de conflits dintérêts que pouvait présenter sa nouvelle activité dentrepreneur. Pourtant, contactée, la commission nous a répondu quelle navait pas été saisie.
Le ministère des Affaires étrangères a toujours rechigné à dévoiler les moyens (humains, matériels et financiers) dont bénéficiaient les « ambassadeurs thématiques », dont celui chargé de la négociation internationale pour les pôles Arctique et Antarctique. Au point que même la liste de ces diplomates dun genre particulier est longtemps restée secrète. Ils sont actuellement 18 avec des statuts et des moyens très différents, selon leur origine diplomates de carrière ou anciens responsables politiques. Lex-sénateur socialiste (désormais LREM) Richard Yung avait réussi à arracher au Quai dOrsay quelques chiffres en 2013. On y apprenait que Michel Rocard, alors ambassadeur des pôles, disposait dune enveloppe de 32 000 euros pour ses frais de mission et de 47 000 euros pour rémunérer ses deux collaborateurs (dont un était pris en charge par son corps dorigine de la fonction publique). « Le Quai dOrsay nétait pas très content que ces chiffres soient publiés, se souvient Richard Yung aujourdhui. Il a fallu beaucoup insister et mettre le pied dans la porte. Cest comme lorsque vous demandez les salaires des ambassadeurs, cest quasiment secret défense ! »
Michel Rocard, alors ambassadeur des pôles, en septembre 2011, en zone arctique du Canada. (THIERRY SUZAN / MAXPPP)
Ségolène Royal, comme son prédécesseur, est une ambassadrice pro bono, cest-à-dire non rémunérée pour sa mission. En revanche, daprès des échanges de mails que la cellule investigation de Radio France a pu consulter, elle a négocié de pouvoir disposer de trois collaborateurs à disposition, un de plus que Michel Rocard, et surtout, d’une enveloppe de 100 000 euros de frais de mission, soit près de trois fois celle de Michel Rocard. Daprès nos informations, cette enveloppe, qui a fait lobjet dâpres négociations, est prise en charge pour moitié par le ministère des Affaires étrangères, et pour moitié par celui de la Transition écologique.
La question qui se pose est de savoir si cette enveloppe a pu aussi financer des frais de Ségolène Royal et de ses collaborateurs sur leurs déplacements en province ou les opérations menées pour le compte de la fondation. Lorsque le conseiller en communication de Ségolène Royal sest rendu au Sénégal pour visiter les maternités solaires, était-il défrayé par le Quai dOrsay ? Notre document montre en tout cas que le ministère semblait informé de son voyage. De même, lorsque Ségolène Royal sest rendue sur place en compagnie de ce même conseiller, ainsi que de lambassadeur de France et dun autre membre de lambassade de Dakar, qui payait leurs billets davion ? Nous avons posé ces questions, et dautres, au Quai dOrsay qui ne nous a pas répondu, mais a transmis nos questions à Ségolène Royal.
Lancienne ministre na pas non plus répondu à la liste de questions détaillées que nous lui avons envoyées en toute transparence et à nos nombreuses demandes dentretien, nous adressant juste ce message : « Je ne vois pas de quoi vous parlez. Vos insinuations sont diffamatoires. »
Ségolène Royal inaugure le salon Cosmetic 360, le 16 octobre 2019. (CAPTURE D’ECRAN TWITTER / Marc-Antoine Jamet)
Nous avons également posé à Ségolène Royal une question sur certaines factures de véhicules avec chauffeur que nous avons pu consulter et dont les montants paraissent étonnamment élevés. Le 12 décembre 2017 par exemple, elle dépense 420 euros auprès dune société de VTC. La facture comporte comme seule mention « mise à disposition », aucune destination ou lieu de prise en charge. Ce jour-là, Ségolène Royal était invitée sur RTL le matin puis se rendait au One Planet Summit qui se tenait à Boulogne-Billancourt. Ségolène Royal a participé à lévénement, mais a été « décommandée » au dernier moment du déjeuner officiel, comme elle la raconté elle-même dans son livre, Ce que je peux enfin vous dire. Utiliser une voiture avec chauffeur pour lensemble de la journée ne semble pourtant pas conforme aux instructions données par le ministère des Affaires étrangères aux ambassadeurs thématiques.
Dans une note interne du 22 septembre 2017, que nous avons pu consulter, le secrétariat général du ministère leur rappelle que, concernant les taxis, ils sont censés « éviter leur emploi, fort onéreux, pour de courts trajets en journée, limiter les périodes dattente et utiliser autant que faire se peut les transports publics ». « Les ambassadeurs thématiques nont pas le droit à une voiture avec chauffeur, et cest vite devenu un sujet de crispation pour Ségolène Royal », nous a raconté un ancien du Quai dOrsay qui a souhaité garder lanonymat. Lex-ministre semble avoir utilisé une partie de son enveloppe de frais de mission pour pallier cette absence. Les factures de véhicules avec chauffeur que nous avons pu consulter sélèvent, par exemple, à un total de 1 430 euros pour le seul mois de novembre 2017. Malgré labsence de détails quelles comportent, elles auraient été, daprès nos informations, remboursées par le ministère des Affaires étrangères.
A lire aussi
Sujets associés