Ce 9 novembre 2018, Ludovic Dimec, 46 ans, sort furieux du tribunal du Puy-en-Velay. Il vient dêtre sanctionné par un délégué du procureur pour violences conjugales : il devra verser 1 500 euros à son ex-compagne, Sylvia Bouchet, quil a menacée avec une serpette, et devra accomplir un stage de responsabilisation. Il reprend le volant, et avale les 40 km de lacets qui le séparent de son élevage de rongeurs, dans la Haute-Loire, quil gère encore avec la mère de ses trois enfants.
Le lendemain, le gardien du barrage de Lavalette fait sa ronde quotidienne sur cet immense ouvrage de béton, réservoir deau potable de la ville de Saint-Etienne. Dun côté de la route, il y a ce lac enserré par des collines arborées, de lautre, un dénivelé abrupt de soixante mètres. Et le cadavre de Sylvia Bouchet, fracassé, en contrebas. La jeune femme porte encore son bleu de travail, il lui manque une chaussure.
Un mois plus tard, devant les gendarmes, Ludovic Dimec reconnaît quà sa sortie du palais de justice, il a donné une « grosse claque », dans le hangar de leur exploitation, à Sylvia qui tombe inconsciente ; il charge le corps dans son véhicule, puis le « bascule » par-dessus le garde-corps du barrage. Il est ensuite allé chercher ses enfants à larrêt de bus qui sinquiétaient de ne pas y trouver leur mère, et a fait « comme si de rien nétait ».
Le corps de Sylvia Bouchet a été retrouvé le 10 novembre 2018 au pied du barrage de Lavalette à Lapte, Haute-Loire. CAMILLE GHARBI POUR « LE MONDE »
Lhomme est mis en examen le 9 décembre 2018pour homicide volontaire sur conjoint une circonstance aggravante ; il est pourtant laissé libre, sous contrôle judiciaire, par le juge des libertés et de la détention. Abasourdi par cette décision, le procureur de Clermont-Ferrand, Eric Maillaud, fait aussitôt appel, tandis que la famille, terrorisée de savoir le meurtrier en liberté, redoute quil vienne chercher ses trois enfants, voire quil sen prenne à eux. Il faudra attendre dix jours avant quil soit finalement incarcéré. « On na pas pris Sylvia au sérieux, ni avant ni même après sa mort. Avec cette décision, la justice dit que, finalement, cétait pas grave de balancer sa femme par-dessus un barrage », dénonce Alice Bougueffa, la sur de la victime. Ludovic Dimec soutient aujourdhui que son geste était « accidentel ».
Peut-on parler dune faille de linstitution judiciaire quand le meurtre a lieu le jour même de la condamnation dun homme pour violences contre sa victime ? Après avoir radiographié les dysfonctionnements de la police et de la gendarmerie dans le recueil de plaintes et la prévention du passage à lacte, Le Monde poursuit son enquête systématique sur les féminicides. Notre équipe de douze journalistes se penche cette fois sur les grandes difficultés de la justice à répondre aux alertes, qui jalonnent pourtant les dossiers de féminicides un terme et un phénomène qui, depuis quil est apparu dans le débat public, embarrasse la magistrature.