Des millions de Sri-Lankais se rendaient aux urnes, samedi 16 novembre, pour élire leur nouveau président.
Presque cinq ans après la défaite électorale de Mahinda Rajapaksa, son petit frère Gotabaya, 70 ans, est en compétition avec le candidat du parti au pouvoir, Sajith Premadasa, pour prendre la tête de lEtat sri-lankais pour le prochain quinquennat.
Lieutenant-colonel à la retraite, Gotabaya Rajapaksa est pour loccasion le représentant de la puissante famille des Rajapaksa. Lancien militaire était lune des clés de voûte du régime de son frère Mahinda (2005-2015), empêché par la Constitution actuelle de se présenter, et son élection marquerait le retour aux affaires de la fratrie.
En tant que plus haut responsable du ministère de la Défense à lépoque, Gotabaya commandait de fait les armées sri-lankaises au moment de lécrasement de la rébellion séparatiste tamoule en 2009, pour lultime offensive au cours de laquelle 40000 civils tamouls ont péri selon les défenseurs des droits humains.
Ce bain de sang avait sonné la fin de 37 ans de guerre civile, qui a fait 100000 morts, et vaut aux Rajapaksa dêtre adulés au sein de la majorité ethnique cinghalaise, mais détestés et craints par la minorité tamoule qui constitue 15% des 21,6 millions de Sri-Lankais.
«Escadrons de la mort»
La posture dhomme fort adoptée par Gotabaya, qui promet de combattre la corruption et lextrémisme islamiste dans une nation traumatisée par les attentats jihadistes du 21 avril qui ont fait 269 morts, lui vaut le surnom de «Terminator» au sein de sa famille.
Par contraste, son principal rival Sajith Premadasa, 52 ans et fils dun président assassiné par la guérilla en 1993, est un responsable politique discret qui espère mobiliser le vote des femmes en promettant daméliorer lhygiène menstruelle.
Gotabaya Rajapaksa est notamment accusé – ce quil nie – davoir dirigé sous la présidence de son frère des «escadrons de la mort» qui ont enlevé à bord de camionnettes blanches des dizaines de Tamouls, dopposants politiques ou de journalistes. Certains de leurs corps ont été ensuite jetés sur la route, dautres nont jamais été retrouvés.
«Si M. Gotabaya Rajapaksa revient, la culture des camionnettes blanches reviendra», estime auprès de lAFP Alfonso, un habitant de Colombo à moitié tamoul. «Personne ne peut sexprimer contre lui, personne, pas seulement nous».
De nombreux musulmans (10% de la population) sinquiètent aussi de leur sort dans cette nation en majorité bouddhiste, particulièrement depuis la montée du ressentiment à leur égard après les attentats de Pâques. À la suite de ces assauts de kamikazes contre des églises chrétiennes et des hôtels de luxe, des centaines de maisons et de commerces musulmans ont été attaques.
Après la fin de la guerre civile en 2009, Gotabaya Rajapaksa «a contribué à louverture dun nouveau front de conflit, qui était la majorité cinghalaise contre les musulmans», déclare à lAFP lanalyste Paikiasothy Saravanamuttu.
Un retour au pouvoir des Rajapaksa préoccupe aussi lInde voisine et les Occidentaux en raison de la proximité du clan avec la Chine.
Pékin a prêté des milliards de dollars au Sri Lanka pendant les deux mandats de Mahinda Rajapaksa pour de grands projets dinfrastructures, une dette colossale qui place ce pays stratégique de locéan Indien dans une situation de dépendance vis-à-vis de la Chine.
«Des entités chinoises ont été accusées de façon crédible dentretenir la corruption, de financements illégaux pour favoriser des candidats politiques et dinsérer des clauses violant la souveraineté nationale dans leurs contrats dinfrastructures», résumé Jeff Smith, un chercheur de lHeritage Foundation.
Illustrant le piège de cette dette, le Sri Lanka a dû céder en 2017 pour 99 ans à la Chine le port dHambantota (sud), après sêtre retrouvé dans limpossibilité de rembourser une créance.
Mais, estime Jeff Smith, Gotabaya Rajapaksa pourrait «avoir retenu certaines leçons de la présidence de son frère, être conscient des risques de rogner la démocratie et les droits humains et dune dépendance excessive à légard de la Chine».