Né en 1948, Etienne Dumont a fait à Genève des études qui lui ont été peu utiles. Latin, grec, droit. Juriste raté, il a bifurqué vers le journalisme. Le plus souvent aux rubriques culturelles, il a travaillé de mars 1974 à mai 2013 à la « Tribune de Genève », en commençant par parler de cinéma. Sont ensuite venus les beaux-arts et les livres. A part ça, comme vous pouvez le voir, rien à signaler.
Pour le moment, rien ne filtre. Il faut dire qu’il y aura des cas complexes. Comment créer les espaces voulus au Louvre, où le public se bouscule dans certaines salles?
En face de la joconde. Il n’y a pas deux mètres entre chaque visiteur!
Je vous ai dit hier que le Suisse devrait (le verbe est au conditionnel) déconfiner (un mot qui sonne comme «déconfiture») ses musées à partir du 8 juin. J’ai esquissé mes petits plans de bataille personnels. Ce sera très complexe. Tout le monde le sent bien. Chaque institution possède ses particularités. Difficile en conséquence de se montrer général.
Et la France? Eh bien elle reste dans le bleu! La grande date du moment, qui peut toujours changer, est depuis le 13 avril le 11 mai. Mais, selon Emmanuel Macron, «les lieux rassemblant du public resteront sans doute fermés à ce stade.» Une chose que confirme pour une fois son ministre de la Culture, le transparent Franck Riester. «Le déconfinement dans la culture sera plus progressif que dans d’autres secteurs.»
Notons que contrairement aux Suisses, les Français mettent tout dans le même paquet. Les musées se voient traités comme les cinémas ou les théâtres. La promiscuité me semble pourtant bien plus grande dans ces derniers. Vous êtes assis pour longtemps (trop longtemps, parfois) à côté d’un monsieur ou d’une dame. Vous ne bougez pas. Dans un musée, en revanche, vous allez et vous venez. Et les institutions muséales françaises ne sont pas toujours pleines, loin de là! Pour le pointu, c’est même le désert. A l’exposition Jean-Marie Delaperche d’Orléans, qui a bénéficié d’une presse d’enfer dans la mesure où la directrice Olivia Voisin sait manipuler son petit monde, nous n’étions que trois le jour où j’ai passé. Je ne vous l’avais pas dit dans mon compte-rendu.
Frank Riester. AFP Photo.
En France comme chez nous, il faudrait donc pouvoir procéder au cas par cas. Il existe certes chez nos voisins plusieurs problèmes majeurs. Je veux parler de sites comme le Louvre ou le château de Versailles. La cohue, du moins dans certaines salles (même si le Louvre a perdu 600 000 visiteurs entre 2018 et 2019). Mais à part ça, sauf à la Tour Eiffel, les flux restent en général raisonnables. Le Grand Palais, qui en arrive à sa dernière saison avant travaux, n’a plus connu de gros succès commerciaux depuis des années. Et si Orsay magnétise encore les touristes, il n’en va pas de même avec Beaubourg depuis que le Centre Pompidou est entré en chantier. Ni surtout pour le Quai Branly. Celui-ci ne vit presque que du «public captif», autrement dit des écoliers.
Je dois cependant citer un problème que la Suisse ne connaît pas. Vigipirate. Un contrôle des visiteurs s’effectue avec un portique de sécurité, plus ou moins affûté. Très lent à Guimet. Laxiste au Louvre, où il n’existe qu’un seul de ces appareils pour 30 000 visiteurs par jour sous la Pyramide et un seul autre au niveau du sol. Or la file forme un facteur de contact particulièrement malvenu de nos jours. Il semble qu’il faille pourtant «faire avec» cette double forme de sécurisation. Ceci dit, elle n’existe presque qu’à Paris, la capitale, où se concentre l’essentiel des foules humaines. La province n’en éprouve pas le besoin. Elle n’en aurait à part ça sans doute pas les moyens.
La foule l’été au château de Versailles. Photo Dominique Fager, AFP.
Voilà pour un aspect du problème. Mais il y a l’autre. Celui dont on évite de parler. Qui viendra dans un musée dans les jours suivant leur déconfinement? Ces lieux sont sujets aux rejets psychologiques. Les touristes, notamment américains, ont déserté la France après les attentats de 2015. Les «gilets jaunes» et les grèves à répétition de la SNCF (elle fonctionne quand, au juste, celle-là?) ont ensuite découragé les masses, françaises cette fois. Les effets de l’actuelle pandémie se sont eux fait sentir dès le mois de février. La peur. Et pourtant nous étions loin de l’hystérie collective mondiale hallucinante que nous sommes en train de vivre. Début mars, les musées de la capitale restaient ainsi presque vides. Le dernier lundi avant le confinement, je suis entré au Louvre à l’heure du déjeuner. Personne devant moi. Personne derrière moi. Je me suis même demandé si le lieu demeurait encore ouvert. Il l’était pourtant bel et bien.
Il faut donc s’attendre au même genre de situations au moment de la réouverture. Il n’y aura plus de touristes japonais ou chinois (les chouchous du Louvre) faute d’avions. Le provinciaux se verront rebutés par la rareté des trains. Les Parisiens se diront qu’ils ont tout le temps, puisqu’ils sont après tout chez eux. Il n’y aura sans doute de présent que le vrai public de l’institution, en général plutôt âgé. Bonne nouvelle à leur propos. La France,après y avoir été incitée par un ponte médical lui-même septuagénaire, Jean-François Delfraissy, a renoncé vendredi dernier à enfermer les seniors par précaution après la libération de leurs cadets. Le président l’a expressément dit. Il faut dire que ce monsieur aurait autrement un problème intime à régler. Il lui faudrait confiner Brigitte Macron.
L’affiche de James Tissot au Musée d’Orsay. Photo Musée d’Orsay, Paris 2020.
Autre facteur défavorable, il n’y aura sans doute guère de grandes expositions pour faire tourne la machine. Une machine se détournant toujours davantage des collections permanentes au profit des manifestations temporaires. Paris se bat en ce moment pour sauver celles qui étaient prêtes, mais n’ont jamais ouvert. C’est le cas pour «James Tissot» à Orsay, «Christo» à Beaubourg ou «Pompéi» dans le Grand Palais. Pour la suite, directeurs et conservateurs s’arrachent les cheveux qui leur restent. Les calendriers sont à refaire entre les reports et les annulations. Une ou deux choses devront fatalement tomber. Mais lesquelles? Et puis il y aura les difficultés économiques! On nous le dit et redit depuis plusieurs semaines. Nous allons vers une grosse crise économique, avec ce que cela suppose de resserrement dans les budgets, de diminutions d’entrées, de disparitions de sponsors et de contractions des flots touristiques. Après les vaches grasses, ce seront les vaches maigres. Espérons juste qu’elles ne seront pas enragées.
N.B.1 D’ici les réouvertures, chacun peut toujours consommer les musées au virtuel. Encore faudrait-il qu’ils se montrent consommables! Un musée ce n’est pas seulement avaler une «capsule» ou jouer avec des bêtises numériques. Il s’agit surtout d’un endroit où l’on peut éprouver de vraies émotions devant des œuvres réelles. Le tout à son rythme et selon ses désirs. La visite d’un musée n’est Dieu merci pas un spectacle passif. Elle doit rester une expérience. Je dirais même une aventure.
N.B.2 Parmi les lieux rassemblant un large public, tout le monde a jeté l’éponge pour cet été. Même Avignon, qui a longtemps fait de la résistance. Ne restent plus en lice que les Rencontres d’Arles, prévues dès le 29 juin. Mais depuis vendredi dernier un avis se superpose à la Une du site. L’équipe de Sam Strourdzé se torture les méninges afin de trouver une issue positive. Réponse définitive avant la fin avril.
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