Depuis le 11 mai, il est de nouveau possible pour le quidam de sortir s’aérer sans avoir à montrer patte blanche et se rendre dans les commerces « non indispensables » fermés durant le confinement. Chômage partiel, report des cotisations, suspension de certaines charges, l’exécutif a annoncé dès l’officialisation de la « crise sanitaire » un panel de mesures en faveur des commerçants. Pour autant, nombreux sont ceux qui risquent de mettre la clef sous la porte et pâtir de nouvelles habitudes prises par leurs clients au cours d’un confinement qui a fait la part belle aux mastodontes de la distribution et du commerce électronique.
Des initiatives citoyennes soutenues par l’État telles que « Sauvons nos commerces », animée par des professionnels de la technologie, proposent aux internautes de financer la trésorerie de leurs boutiques favorites sous la forme de bons d’achat utilisables jusqu’à fin juin 2021. Pour le secteur de la restauration et des cafés, encore touché par les mesures d’éloignement physique entre particuliers, le site « J’aime mon bistrot », qui repose sur le même principe, propose de prépayer son café ou son ballon de rouge. Les soutiens sont nombreux, de la brasserie savoyarde du Mont-Blanc jusqu’au géant Coca-Cola.
Cécile Bayaud produit son propre rhum dans la région de Poitiers. Avec une associée, elle gère un bar depuis janvier, La cave Rocinante, qui propose des vins et spiritueux naturels ou issus de l’agriculture biologique. Le loyer a été suspendu après des négociations avec le bailleur privé ; à l’annonce de la fermeture, les échéances ont été reportées par la banque ainsi que les cotisations de l’URSSAF. Pour le reste, il a fallu bricoler, d’autant plus que si le chiffre d’affaires était en hausse et le bar plein tous les soirs, l’affaire souffrait de petits problèmes de trésorerie. « Nous avons mis en place une boutique en ligne dès la première semaine de confinement avec la possibilité de retirer sur rendez-vous ainsi que la livraison à domicile à partir de cinquante euros d’achat. Puis nous avons proposé à des amis maraîcher, fromager et écailler, accueillis d’habitude sur les marchés, de leur servir de point relais pour leurs marchandises. Notre force c’est d’être un petit établissement avec des clients qui nous connaissent bien et qui ont répondu présent très vite », détaille la patronne.
Dans le vingtième arrondissement de Paris, se trouve une librairie qui porte bien son nom, La toute petite librairie. Si le local est réduit et chaque livre à sa place dans un jeu d’optimisation d’espace digne d’un professionnel du Tetris, la surface de vente avait été agrandie peu de temps avant l’annonce du confinement. Dans ce quartier où chaque mètre carré vaut de l’or, la question du loyer est cruciale. Hervé Béligné, le gérant, insiste sur ce point : « Nous avons pu bénéficier du chômage partiel et de la prime de 1500 euros ; la suspension des loyers est effective mais c’est un leurre, car il faudra payer après, c’est le plus dangereux pour notre commerce. Tout le monde pense que les loyers sont annulés ou que l’État paiera, il n’y a rien de plus faux ». La librairie a lancé une cagnotte en ligne qui a atteint le double de son objectif initial, grâce à une clientèle fidèle et compréhensive. « Nous n’avions pas de trésorerie et il fallait bien absorber le coût des travaux récents. Ce mode de financement est grand public et visible ».
Comme chez Cécile et son associée, il a fallu improviser en un temps record. «Nous avons proposé à nos clients de faire des retirer leurs livres commandés en ligne dans une pharmacie voisine en fonction de nos stocks à partir de courriels de commande. C’était bricolé et vraiment très chronophage étant donné que nous n’avions pas de site marchand ». La prime de 1500 euros laisse Hervé septique sur sa pertinence : « 1500 euros pour un commerçant qui a 3000 euros de loyer, ça ne représente pas la même chose que pour un consultant indépendant qui n’a que son abonnement téléphonie et internet à payer ! ». Pour Johan, client régulier de la librairie, il était important de soutenir son commerçant en évitant Amazon et consorts. « Pour moi, c’est essentiel de soutenir une librairie indépendante et de ne pas laisser le confinement devenir l’allié des grosses entreprises qui font travailler les gens dans des conditions affreuses ».
Morgane Crolas est tatoueuse à Grenoble. Avec deux associés, elle a ouvert son salon en août dernier, Kin Kaiju. L’activité est quasi-saisonnière, tatouages et soleil font mauvais ménage. La petite trésorerie accumulée devait faire face à la trêve estivale et a été entièrement prise par le confinement. Un coup dur. « Nous nous sommes sentis complètement désemparés et abandonnés. Personne au bout du fil aux URSSAF ni aux impôts, un mois de délai de réponse par courriel, des informations contradictoires et sporadiques… Nous devions sans cesse croiser nous-mêmes les informations avec un groupe de discussion entre confrères. De plus, étant une profession non reconnue par l’Etat, nous sommes tous des cas particuliers, presque aucun de nous n’a eu les mêmes cas de figure face à ces aides ». Pour des professionnels autant artistes que commerçants, le système D prend une forme particulière. « Pour pallier à cet arrêt forcé, nous avons mis en place fin avril une boutique en ligne pour vendre des objets confectionnés par nos soins et que nous avions en stock avant le confinement : dessins, affiches et t-shirt avec nos créations. Cette mise en ligne a été un franc succès ». Pour ce commerce, l’aide mensuelle de 1500 euros a bien été octroyée, mais pour trois associés, ce qui la rend presque anecdotique.
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