Le confinement dans les îles, une longue histoire de solidarités

En ces temps de confinement, certains ont cherché à fuir les villes pour trouver refuge à la campagne ou au bord de la mer. La presse a largement évoqué l’arrivée remarquée et critiquée de résidents secondaires dans les îles de Bretagne.

Dans ce contexte particulier, les petites îles côtières s’affirment comme une destination rêvée et privilégiée, un refuge protecteur pour les hommes comme c’est le cas des petites îles italiennes ayant échappé grâce à leur insularité au Covid-19.

Espaces clos et limités, difficiles d’accès et isolés du continent, les territoires insulaires, d’une certaine manière naturellement confinés, interrogent la notion relative du confinement et au-delà du vivre ensemble.

Si l’île est souvent présentée comme une destination touristique pour urbains en recherche d’exotisme et de dépaysement, on oublie que l’île peut être une prison. Dans le monde entier, les îles bagnes ou centres de détention furent légions.

On pense en France, à l’île d’Yeu prison de Philippe Pétain en 1949, aux bagnards de l’île de Ré, au révolutionnaire Auguste Blanqui au Château du Taureau en baie de Morlaix, ou encore aux Communards à l’île des Pins en Nouvelle Calédonie.

Cette fonction carcérale est l’une des plus anciennes des îles. Dernièrement, Caroline Sturdy Colls, professeure d’archéologie à la Staffordshire University, en Angleterre a révélé un camp de concentration nazi oublié, dont il ne reste quasiment plus de marques sur l’île anglo-normande d’Aurigny.

Avant de rejoindre le bagne ou la prison, un site de confinement est souvent nécessaire pour la mise en quarantaine. Ainsi, l’île de la Quarantaine sur le Maroni, aujourd’hui totalement recouverte par la végétation, était probablement au XIXe siècle l’île où débarquaient les bagnards avant de rejoindre le camp de la Transportation à Saint-Laurent puis pour certains d’entre eux, l’île du Salut à Cayenne.

Plus près de nous, en rade de Brest, un lazaret sur l’île de Trébéron fut établit par la Marine pour stopper les épidémies menaçant les escadres du roi Louis XIV. Elle devint ainsi l’île de la quarantaine pour les navires suspectés de contagion. On enterrait sur l’île voisine, l’île des Morts, ceux qui ne survivaient pas. Comme c’est le cas de Hart Island, surnommée « l’île des Morts », au nord-est du Bronx à New York.

Depuis le début de la pandémie du Covid-19, des dizaines de corps de victimes non réclamés par des proches y sont enterrés.

Enfin récemment, toujours en lien avec le Covid-19, le roi Salmane (84 ans) de la famille royale saoudienne s’est confiné dans un palais situé sur une île dans la mer Rouge, près de la ville de Djeddah.

La fonction de refuge est à l’origine de destins particuliers des îles. L’île de Ninoshima, au large d’Hiroshima au Japon, a servi depuis la fin du XXe siècle de refuge pour des soldats, des victimes de la guerre atomique ou des orphelins.

C’est, dans un autre domaine, le cas de la petite île de Riems, localisée dans la mer Baltique en Allemagne. Premier centre virologique au monde, créé en 1910, cette île, surnommée l’Alcatraz des virus est la prison des virus du monde. Fermée au public, elle abrite aujourd’hui un centre de recherche. On y trouve plus de 10 000 animaux utilisés pour comprendre la pathogénèse et tester des vaccins contre les virus.

Et il y a aussi les îles-refuges, enclaves pour les personnes fortunées adeptes des confinements luxueux, comme l’île de Tetiaroa où vécu Marlon Brando en Polynésie. Les îles sont là encore dans l’expression d’une dualité qui les caractérise si bien, à la fois paradis et enfer, ouverture et fermeture, la chose et son contraire.

Les îles, en raison de leurs spécificités biologiques en rapport avec l’isolement sont des paramètres à haute valeur environnementale. C’est pourquoi il y a une multitude de petites espaces, des réserves naturelles, des parcs marins… En France métropolitaine, toutes les îles habitées de l’archipel ont de fortes statuts de protection. L’isolement favorise remarquable et bien connu des formes d’adaptation de la flore et de la faune ou de l’endémicité.

À l’heure de la banalisation des espaces littoraux, ces caractères remarquables en font des lieux recherchés et contribuent à une importante fréquentation humaine et une forte pression foncière. L’une des conséquences est bien souvent un emballement du prix du foncier bâti, excluant les populations d’origine au profit de nouvelles aux revenus incomparablement supérieurs.

Ce même isolement porte en lui les germes d’une grande fragilité. L’introduction d’espèces nouvelles ou invasives ou la destruction de certains habitats, peut favoriser la prédominance d’une espèce aux dépens d’une autre.

Certaines espèces peuvent ainsi coloniser en totalité l’espace insulaire. C’est par exemple le cas des rats qui y prolifèrent souvent. On retrouve des îles dénommées Iles-aux-rats sur toute la planète. En Bretagne il en existe notamment une dans la rivière de Pont-l’Abbé.

Les menaces et les atouts remarquables des îles sont à mettre directement en lien avec le caractère limité de l’espace et l’isolement. C’est vrai pour ce qui relève de la nature, mais cela l’est également pour les activités humaines.

Le caractère fini de l’espace favorise la mise en œuvre de solutions visant à l’autonomie dans différents domaines, notamment alimentaires et énergétiques. Sur ce plan, la présence de la mer, du vent et du soleil encourage la mise en place de technologies alternatives.

L’île d’El Hierro aux Canaries ou de l’île de Samso au Danemark en constituent deux exemples remarquables.

En Bretagne, les îles de l’Iroise (Ouessant, Molène et Sein) ont mis en place un ambitieux programme qui devrait leur assurer une autonomie énergétique quasi-totale dans les années à venir.

Dans les îles du Ponant toujours, où l’agriculture, à l’exception de Batz et de Belle-Île, avait quasiment disparu depuis les années 1970-1980, un renouveau agricole voit le jour.

Les productions locales dans le domaine de l’élevage et le maraichage, les circuits courts, sont des modèles qui se multiplient en parallèle avec de nouvelles productions, comme la vigne. De même la transformation des produits locaux est encouragée tout comme la recherche de nouvelles activités dans le domaine de la création ou du numérique.

Ces récents changements sont accompagnés par l’arrivée de nouveaux résidents.

Cela se traduit par une augmentation de la population, notable pour certaines îles, et témoigne de formes de renouvellement de l’île territoires. Ils pourraient devenir de véritables laboratoires d’expérimentation et de mise en œuvre de rechange et des solutions de résilience pour le vivre ensemble et le bien-être des personnes.

La cadre limité de l’île encourage largement ce type d’évolution et de réflexion. Sur ces petites îles, chacun se connaît, l’apport des uns complète celui des autres, les frontières sociales s’estompent et les liens entre générations se resserrent. Les îles, terres d’utopie, ont été et sont toujours des terres fécondes pour imaginer de nouvelles perspectives.

L’île est un terrain fertile pour l’expression de plusieurs solidarité. Il ne manque pas d’exemples, en particulier dans le domaine du sauvetage en mer, mais aussi d’aider les uns les autres sur une base quotidienne. Un indicateur de cela.

Une étude récente (à paraître, Réflexions sur le vivre ensemble dans les îles du Ponant, sous l’angle des associations, actes du colloque 2019 « les îles à venir ») porte sur la vie associative dans les îles du Ponant. On y recense quelque 500 associations pour 16 310 habitants. Le nombre d’associations pour 100 habitants est 1,5 fois plus important dans les îles que sur le continent, témoignant d’une densité bien plus forte.

Cette vitalité associative est une conséquence de l’insularité : dans l’île, on sait se retrouver pour construire un projet ensemble, pour faire la fête et aussi se soutenir. Car, quand une menace pèse sur la communauté, les conflits internes s’estompent pour le bien commun. Finalement, l’île protège ses habitants de l’intérieur, mais se protège aussi de l’extérieur.

D’une manière générale, l’île est perçue par chacun comme un cocon protecteur. Dans le contexte actuel de confinement national, on peut considérer l’île comme un bateau immobilisé à quai pour les îliens, ou une prison dorée, pour les résidents secondaires.

Pour les premiers, le confinement n’est pas une découverte. Les marins, fort nombreux dans un passé proche dans les îles du Ponant, connaissaient parfaitement cette situation à bord des bateaux. Pour certains, embarqués actuellement sur des plates-formes pétrolières ou la pêche hauturière, elle est toujours réelle. Il arrive que les îles ne soient pas accessibles à cause des tempêtes. Durant le mois de février 2014, en raison de la météo neuf rotations journalières sont annulées dont six en dix jours. les tempêtes de 2014

Enfin, dans ces petites îles de quelques centaines d’habitants, vivre ensemble sur un espace réduit est une sorte de confinement parfaitement maitrisé. Si le confinement actuel ne permet plus de se rencontrer aussi aisément, de discuter sur les quais ou de boire un verre dans un bistro, il n’est en rien comparable à ce que peuvent vivre des familles dans de petits appartements de quartiers urbains densément peuplés. En fait, le confinement extérieur (vis-à-vis du continent) est beaucoup mieux vécu par les îliens que le confinement intérieur (sur l’île), le premier n’étant pas exceptionnel.

Pour les résidents secondaires, il s’agit de profiter d’un confinement bien plus doux, moins anxiogène sur l’île que dans la grande ville. Cet avant-goût de vacances imposées, mais rendues possibles dans un cadre aimé, est légitime. Elle peut cependant se discuter sans pour autant justifier certains propos tenus à ce sujet sur les réseaux sociaux.

Dans l’imaginaire collectif des îles, la venue de résidents secondaires peut être vécue comme une intrusion dans l’entre-soi insulaire. Les îliens apprécient l’arrivée des vacanciers après la longue période hivernale, durant laquelle l’isolement et les épisodes météo sont parfois durs à vivre. Les maisons fermées s’ouvrent, les hôtels se remplissent. En revanche, en période de confinement sanitaire, cet intérêt économique et social n’est plus perçu et leur origine urbaine est analysée comme une menace potentielle, comme pour tout autre visiteur.

L’arrivée de résidents secondaires est restée relativement limitée (estimée à 600 personnes par exemple à Belle-Île pour 5 500 habitants selon la communauté de communes) mais pose question.

Les densités de population étant fortes dans les îles, on imagine aisément les conséquences de l’introduction du virus. Pour reprendre l’image de l’île-bateau, on comprend que la contamination de l’équipage par un nouvel arrivant engendre des conséquences souvent dramatiques pour tout le personnel de bord. L’île paradis se transforme en île infernale : dans les îles, les personnes âgées donc fragiles, sont nombreuses, l’encadrement médical restreint (certaines îles n’ont pas de médecins), la présence de policiers parfois inexistante et les évacuations sanitaires compliquées.

En cette période de l’année, les services publics sont réduits et les stocks alimentaires prévus pour la population de l’hiver restent limités. Pour les communes des îles, la difficulté première est bien d’accueillir un surcroît de population en période de crise sanitaire.

Actuellement, pour aller aux îles, il faut donc faire partie de l’équipage, c’est-à-dire être résident permanent. Sage mesure prise très rapidement par les maires des îles puis reprise par les préfets. Les rotations maritimes sont dorénavant réduites : elles se limitent pour certaines îles à deux hebdomadaires, le temps du ravitaillement. Celui du confinement s’écoule paisiblement. Les communes s’organisent, les commerçants s’adaptent, les îliens s’entraident. En deux mots, les îles se protègent. En Bretagne mais aussi aux antipodes.

Christian Ghasarian, ethnologue travaillant sur l’île de Rapa, dans les îles australes de Polynésie française, évoque dans un article à paraître (Réflexions sur le protectionnisme insulaire à Rapa, actes du colloque « les îles à venir »), le lien entre l’idée de protéger l’île et celle d’y être protégé, une conception polynésienne à l’œuvre dans cette île.

Face au risque particulièrement fort de diffusion de l’épidémie dans l’île, les habitants se sont organisés, plusieurs cas de coronavirus ayant été relevés à Tahiti.

La seule porte d’entrée du virus à Rapa étant le bateau qui fait un aller-retour tous les deux mois, le maire rappelle que :

« Ici, personne n’a le coronavirus. Par contre, toutes les personnes qui arrivent, on ne sait pas si elles sont porteuses du virus. Le seul moyen de nous protéger, c’était de tous les mettre en confinement. Ce n’est qu’après la quatorzaine, qu’on saura s’ils pourront rentrer chez eux. C’est ce que nous avons fait. »

La communauté réunie a pris plusieurs mesures de précaution témoignant d’un grand sens de la responsabilité et de la solidarité insulaire. Après plusieurs heures de prise de parole, il fut décidé de façon consensuelle de mettre en quatorzaine tous les passagers (enfants et adultes) dans la cantine de l’école, fermée pour l’occasion et d’organiser ce confinement avec des vivres avant l’arrivée du bateau et le débarquement des passagers.

« On est tous tombés d’accord. On a donc levé le rahui [interdit volontaire de la pêche dans une zone donnée durant toute l’année sauf un jour] pour la pêche, nous sommes allés chasser les bœufs et les chèvres. Chaque famille a amené ce qu’elle pouvait comme du taro par exemple. Et au final, nos enfants peuvent rester en confinement pendant un mois, ils auront encore à manger. »

À l’heure où l’on évoque les difficultés du déconfinement sur le continent, à Belle-Île le président du Conseil de surveillance de l’hôpital suggère de faire de l’île un territoire d’expérimentation. Il s’agit de proposer à l’agence régionale de santé l’organisation d’un test pilote de déconfinement, en réfléchissant collectivement aux critères à mettre en place, ce qui, selon le nouveau maire, semble plus facile ici qu’ailleurs.

Belle-Ile contribuera-t-elle à montrer le chemin à suivre pour le pays, prouvant ainsi toute la puissance démonstratrice et évocatrice de l’île ? Au-delà de la singularité et de l’intérêt de cette proposition, ce sont les valeurs de solidarité s’exprimant sous différentes formes aujourd’hui dans les îles qui demeurent essentielles.

Pour l’heure, selon une Groisillone interviewée au sujet du confinement, « le plus difficile, c’est de ne plus pouvoir s’embrasser et de ne plus marcher dans la mer ». Ce propos témoigne de deux choses : de l’importance du vivre ensemble dans les îles et du rapport étroit que les îliens ont naturellement avec la nature.

Louis Brigand bénéficie du soutien de la Fondation de France pour le projet ID-îles. Premier réseau de philanthropie en France, la Fondation de France réunit, depuis 50 ans et sur tous les territoires, des donateurs, des fondateurs, des bénévoles et des acteurs de terrain.

Louis Brigand, Professeur, géographe, Université de Bretagne occidentale

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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