Etats-unis: Est Bernie Sanders vraiment un « socialiste »?

En tête des sondages dans le camp démocrate, Bernie Sanders se définit comme un socialiste et ses adversaires le critiquent pour cela. Mais qu’en est-il vraiment?

A la veille du caucus du Nevada, Bernie Sanders s’avance en grand favori. Avec 30% des intentions de vote, le candidat de 78 ans domine le dernier sondage Emerson College réalisé mercredi et jeudi. Il y devance Pete Buttigieg et Joe Biden de 13 et 14 points. Son avance dans les sondages nationaux est aussi importante : Sanders est premier à plus de 28%, loin devant Biden et Michael Bloomberg, selon la moyenne de RealClearPolitics. Le sénateur du Vermont symbolise la montée en puissance de la frange progressiste au sein du Parti démocrate.

Depuis sa courte défaite en 2016 face à Hillary Clinton, les idées du candidat ont infusé au sein des démocrates. Lors des élections de mi-mandat de 2018, plusieurs nouvelles figures ont émergé, à l’image d’Alexandria Ocasio-Cortez ou de Rashida Tlaib, deux socialistes élues au Congrès. En quelques années, le nombre d’adhérents des Socialistes démocrates d’Amérique (DSA) a été multiplié par dix, de 6.000 à 60.000. En clair, le terme « socialiste » n’est plus tabou et de grandes figures politiques n’hésitent pas à s’en revendiquer, à commencer par Sanders.

Mais le nouveau favori démocrate est-il vraiment socialiste? Techniquement, Sanders est inscrit comme indépendant au Sénat ; dans les faits, il vote quasiment toujours avec les démocrates. Contrairement à Alexandria Ocasio-Cortez ou Rashida Tlaib, il n’est pas membre des Socialistes démocrates d’Amérique. Mais, et c’est le plus important, les idées de Bernie Sanders et son projet présidentiel font-ils de lui un socialiste? Selon le prix Nobel d’économie Paul Krugman, la réponse est « non ».

Premièrement, il rappelle que Bernie Sanders « ne veut pas nationaliser nos grandes industries » ni « remplacer les marchés par une économie planifiée ». « Il a exprimé son admiration, non pas pour le Venezuela, mais pour le Danemark », ajoute Krugman dans une tribune publiée par le New York Times. Selon lui, le sénateur du Vermont est donc « fondamentalement ce que les Européens appelleraient un social-démocrate ». Pourquoi, alors, Bernie Sanders est-il représenté comme un candidat d’extrême-gauche?

Tout d’abord, parce qu’il assume le terme « socialiste », bien que Paul Krugman juge cette « autodéclaration trompeuse ». « Il s’agit surtout d’une façon de se mettre en avant, avec une pointe de joie à choquer la bourgeoisie », poursuit l’économiste dans le NYT. Selon le journaliste Charles Voisin, auteur de Bernie Sanders, quand la gauche se réveille aux Etats-Unis (VA Editions, à paraître le 26 février), le candidat démocrate n’a en effet rien d’un bolchevique. « Quand il parle de socialisme, il faut penser au socialisme réformé que nous connaissons en Europe, explique-t-il au JDD. Mais aux Etats-Unis, le terme est souvent rapporté à l’URSS, notamment pour les générations les plus anciennes. »

Jusqu’aux années 1980, il voulait abolir le capitalisme. Mais depuis les années 1990, il s’est peu à peu démarqué de cette idée, pour devenir plus pragmatique

D’autant plus que Bernie Sanders, 78 ans, peine à faire oublier son passé, plus radical. Lorsqu’il était maire de Burlington, dans les années 1980, il défendait par exemple Fidel Castro : « Il a éduqué les enfants, leur a donné des soins de santé, a totalement transformé la société », expliquait-il. En 1985, après une visite au Nicaragua, il faisait part de son admiration pour le révolutionnaire Daniel Ortega. Et dans la foulée de son mariage en 1988, le candidat a passé les dix jours de sa lune de miel… en Union soviétique.

« Jusqu’aux années 1980, il voulait abolir le capitalisme, explique Charles Voisin. Mais depuis les années 1990, il s’est peu à peu démarqué de cette idée, pour devenir plus pragmatique. » Mais dans le contexte américain, faire oublier ce passé n’est pas simple : un sondage Gallup publié fin janvier montrait que seulement 45% des Américains seraient prêts à voter pour un socialiste. Donald Trump, qui le surnomme « Crazy Bernie » (Bernie le fou), s’en donne à coeur joie sur les réseaux sociaux, accusant les démocrates d’être des radicaux. Le président américain en a même parlé lors de son dernier discours sur l’état de l’Union, évoquant la menace d’une « prise de contrôle socialiste de notre système de santé ».

A y regarder de plus près, le programme défendu par Bernie Sanders est pourtant beaucoup plus mesuré que ses adversaires ne le laissent entendre. Il défend une plus grande taxation des riches et du capital, une hausse du salaire minimum, la gratuité des études universitaires, l’annulation des dettes étudiantes, un système de couverture santé universelle, l’abolition de la peine de mort ou encore la légalisation de la marijuana.

Interrogé il y a un an sur sa vision du socialisme, Bernie Sanders condamnait le « communisme autoritaire » en vigueur en URSS pendant presque un siècle. « Je n’y crois pas. Je ne l’ai jamais fait, et je m’y suis opposé, assurait-il. Je crois en une démocratie vigoureuse. » Mais selon Charles Voisin, le favori démocrate traîne toujours comme « un boulet lexical » son appartenance revendiquée au « socialisme ». « Lorsqu’il est en campagne, il est obligé de dire qu’il ne va pas nationaliser l’épicerie du coin », explique le spécialiste.

Selon les prévisions du site FiveThirthyEight, le sénateur du Vermont ne pâtit pourtant pas de la situation : ses chances de victoire lors des primaires sont estimées à 35%, plus que tous les autres candidats démocrates.

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