Plan de relance : « Signer un chèque en blanc à l’aérien et à l’automobile serait extrêmement dangereux d’un point de vue écologique »

Marianne : Le ministre des Finances Bruno Le Maire assure que les 20 milliards d’euros prévus par l’Etat pour recapitaliser des entreprises en difficulté ne seront pas distribués sans contrepartie environnementale. Ces contreparties intégrées dans le projet de loi de finances rectificative (PLFR) 2020, sont-elles d’après vous satisfaisantes ?

Alain Grandjean : On pourrait faire beaucoup mieux. Le PLFR 2020 conditionne l’attribution de ces 20 milliards à un comportement « exemplaire » des entreprises en matière de responsabilité sociétale (RSE). Un label dont l’efficacité est encore très incertaine ! En effet, il est aujourd’hui possible pour une entreprise de respecter des critères RSE sans rien changer à ses activités sur le fond. Cette vision n’est donc pas durable.

L’Etat a pourtant besoin d’une stratégie de long terme en matière de transition écologique. Je trouve par exemple dommage que l’amendement de la députée Delphine Batho, qui proposait que le Haut conseil pour le climat soit mandaté pour contrôler les actions des entreprises, ait été rejeté.

N’est-il pas confiance en vous dans les grands groupes?

Je ne dis pas que les entreprises n’évoluent pas. Mais avouons tout de même que signer un chèque en blanc à des secteurs comme l’aérien ou l’automobile serait aujourd’hui extrêmement dangereux. Dans l’aérien, il ne s’agit pas de remplir les critères RSE mais de s’attaquer à la croissance permanente du trafic, qui est incompatible avec une trajectoire bas carbone.

Il faut dès lors des propositions nouvelles : accélérer les travaux dans les carburants alternatifs, rediriger les technologies aériennes vers l’éolien ou le transport naval. Et pour ne pas occulter la question sociale, il faudra mener des plans de reconversion et de formation pour les employés du secteur sur la durée.

Il est vrai que la question sociale prend toute la place en ce moment…

Evidemment, il faut limiter la casse sociale à court terme. Tout le monde le comprend vu l’ampleur de la crise. Mais il serait tout de même inacceptable que l’argent public aille pour la casse sociale et pas du tout pour la cause écologique. Au contraire, il faut profiter de cette période difficile pour engager les reconversions de grande ampleur qui s’imposent. Autrement dit, en faisant tout ce qui est possible pour sortir de la dépendance aux énergies fossiles et des activités destructrices de l’environnement.

Même d’un point de vue économique, repartir sur les mêmes bases qu’auparavant, alors que le système est à bout de souffle, reviendrait pour les Etats à dépenser à fonds perdus. Bref, ce qu’on n’a pas réussi à faire durant les périodes de calme, il faut savoir le faire durant la crise. En temps de guerre, nécessité fait loi.

La réponse européenne à la crise actuelle est-elle suffisante ?

Elle consiste, comme ce qui a été fait au niveau des Etats, à accompagner le sauvetage de l’économie via la Banque européenne d’investissement, la Banque centrale européenne, et le programme de soutien aux dispositifs nationaux de chômage partiel. Tout cela est très bien, mais ce n’est « que » du sauvetage. La relance économique ne suffit pas. Il nous faut déjà penser un plan de relance et de transition écologique.

On sait que l’Allemagne a ouvert la porte à l’émission d’obligations garanties par l’Union européenne. Celles-ci pourraient servir au financement d’un « Fonds européen de relance et de transition » qui représenterait 2% du PIB européen sur une période de 7 ans, soit un montant global d’entre 1.500 à 2.000 milliards d’euros. Il serait alloué à la préparation au risque climatique, d’une part, et aux secteurs habituellement ciblés pour la transition écologique d’autre part : l’isolation thermique du bâti, le transport bas-carbone, l’agriculture durable, l’énergie et l’industrie décarbonée, et la relocalisation industrielle. Il faudra aussi veiller, pour éviter les mêmes écueils technocratiques que pour le plan Juncker, à ce que les Etats et les collectivités locales soient les éléments moteur de ce plan, certes de manière coordonnée au niveau européen.

Dernière question: faut-il la dette des pays Européens-elle être annulée?

Je pense qu’à terme, la BCE pourrait procéder à une restructuration partielle de la dette qu’elle a rachetée ou à son cantonnement. Au reste, il est nécessaire de préparer la réforme des règles en matière de déficits publics, de dettes publiques et d’intervention possible de la BCE.

Vue le fil de discussion.

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