Emmanuel Lincot, professeur à l’Institut catholique de Paris et sinologue, est chercheur associé à l’Iris. Son dernier e-book « Le Grand Jeu : Asie Centrale vs Pékin » est publié aux Editions du Cerf.
Jean-Marc Siroën est professeur émérite d’économie à l’Université PSL-Dauphine. Spécialiste de l’économie étrangère, il a publié des livres et des articles sur la mondialisation. Il est également l’auteur d’un récit fictif (en 3 volumes) sur l’économiste J. M. Keynes. « M. Keynes et les extravagants. » Site : www. jean-marcsiroen. dauphine. fr
Alors que de nombreux analystes doutent que l’économie chinoise puisse dépasser celle des États-Unis, l’économie chinoise post-Covid a été atone (le marché des actifs stagne et la crise du crédit exacerbe la crise de la dette intérieure). Quelle est la réalité économique de la Chine ?
Emmanuel Lintot : C’est une situation préoccupante depuis juillet dernier, lorsque le gouvernement a annoncé que plus de 20 % des jeunes des villes étaient au chômage. Depuis, le gouvernement n’a pas communiqué, ce qui signifie probablement que la situation s’est détériorée, en particulier dans les zones rurales. espaces pour lesquels nous n’avons pas de statistiques. En effet, s’il n’y a pas d’emplois dans les zones urbaines, les migrants des zones rurales sont également touchés. De plus, vous avez raison, l’endettement des provinces et l’hypothèse immobilière et de nombreux épargnants ont déjà été volés par des budgets d’investissement qui menacent de faire faillite à tout moment. Mais le régime est-il menacé ? Je ne suis pas. Du moins pas encore, même si sa crédibilité et celle de Xi Jinping en particulier ont été profondément ébranlées par le contrôle calamiteux de la pandémie qui a détruit des millions d’emplois. Le contexte est d’autant plus compliqué que la Chine ne dispose pas d’un système de sécurité sociale ou de retraite suffisamment solide physiquement, et encore moins d’un système d’allocations chômage.
Jean-Marc Siroën : L’économie chinoise n’est pas sortie de la crise du Covid. Bien qu’elle ait surtout bénéficié de la reprise mondiale, qui a dopé ses exportations, celles-ci ont diminué au cours des deux dernières années et des autres moteurs classiques de l’économie : les infrastructures. , structure : ils sont en pleine crise et la demande intérieure n’a pas pris le relais. Mais cette crise n’est pas seulement un ralentissement conjoncturel qui s’explique par une sortie plus longue que prévu de la crise post-Covid. Et surtout, structurelles : le surendettement des Américains et des collectivités locales, le vieillissement de la population, l’épuisement des « vieilles » industries de réunion qui ont donné naissance au style chinois, et les limites d’un style d’économie hybride qui ne parvient plus à rendre l’économie de marché et l’économie d’État compatibles, voire complémentaires, inefficaces et subventionnées.
Bien entendu, tous les clients ne sont pas louches et la Chine a réussi à acquérir une position dominante sur certaines matières premières stratégiques ainsi que sur certaines productions commerciales, des panneaux solaires aux batteries et voitures électriques. Cela pourrait stimuler la croissance à long terme, mais un phénomène nouveau est que d’autres pays, à commencer par les États-Unis, ne voient pas les choses de cet œil.
Xi Jinping a déclaré il y a cinq ans que d’autres pays s’inspiraient du modèle chinois. La Chine doit-elle reconsidérer ses ambitions ?
Emmanuel Lintot : Oui, la Chine est en train de réduire son allocation des Nouvelles Routes de la Soie pour certaines régions d’Afrique, par exemple. Mais cela ne signifie en aucun cas un retrait de la Chine des régions qu’elle convoite, dans le domaine des infrastructures et des communications (numérique et ferroviaire notamment. . . ) comme le Moyen-Orient, l’Asie centrale ou l’Asie du Sud-Est. Où que l’on passe dans ces parties du monde, la Chine est partout. D’une part, parce que la demande est à son plus haut niveau et que l’absence d’Occidentaux facilite les intérêts chinois, et, d’autre part, parce que ces pays partagent une culture politique anti-occidentale dont la Chine bénéficie également. Si la guerre en Ukraine met en péril ses attributions ferroviaires avec l’Union européenne, principale force économique et premier partenaire commercial de la Chine, cela ne signifie pas qu’elle renonce à la connectivité engagée auprès de l’Union européenne en privilégiant d’autres voies de transit : le Caucase et, à son extension, la Turquie.
Jean-Marc Siroën : Ce que Xi Jinping a dit il y a cinq ans, c’est plus ou moins ce que Staline a dit dans les années 1930 (et le pire, c’est qu’on y croyait !). C’est vrai que la Chine d’aujourd’hui n’est pas l’URSS d’antan, mais on ne paie pas trop cher. Beaucoup d’attention aux proclamations triomphantes qui détournent l’attention d’une réalité moins joyeuse. De toute évidence, depuis son arrivée au pouvoir il y a 11 ans, l’ambition de Xi Jinping a été de faire des États-Unis la première force mondiale, non seulement sur le plan économique, mais aussi, et peut-être surtout, en tant que force politique.
Il faut toutefois noter que même si le PIB de la Chine rattrapait celui des États-Unis, son PIB par habitant cohérent serait encore 4 fois inférieur à celui de son rival. D’ici 2050, toutes les situations sont possibles, même si la principale force économique n’est ni l’une ni l’autre, l’Inde est peut-être cohérente avec cela. Beaucoup dépendra de la capacité de la Chine à régénérer son modèle. Mais si l’on regarde la situation actuelle, le pays est désormais plus proche d’une situation à la japonaise que d’une situation de conquête. Ce serait sans précédent, qui voit sa population diminuer, gagner du terrain, surtout quand l’immigration n’est même pas une option.
Habituée à une expansion à deux chiffres, les prévisions économiques de la Chine sont plus faibles : environ cinq chiffres de croissance du PIB en 2023. Alors que le chômage des jeunes monte en flèche, le style d’expansion prospère de la Chine est-il en train de s’effondrer ?La Chine, comme l’Europe, peut-elle tomber en récession ?
Emmanuel Lingot : L’expansion à deux chiffres appartient depuis longtemps au passé. Même avant la crise monétaire de 2008, la Chine ne connaissait plus de pic d’expansion. Mais il a raison : en dessous d’un seuil limité, le gouvernement ne pourra plus acheter la paix sociale comme il l’a fait si facilement. Si le scénario s’intensifie vraiment, Pékin opterait-il pour une aventure militaire ?L’irrationnel devra être pris en compte. Mais il y a aussi de la place pour l’optimisme, car Joe Biden et Xi Jinping ont pris la décision de se rencontrer. Il ne fait aucun doute que Pékin attend beaucoup des Américains pour que les sanctions contre la Chine soient assouplies. Allons-nous nous engager dans cette voie? Pas tant que ça quand on sait que la dureté du ton à l’égard de la Chine représente un véritable facteur électoral aux États-Unis et que Joe Biden ne peut l’oublier alors que le compte à rebours des prochaines élections américaines commence.
Jean-Marc Siroën : La dernière expansion à deux chiffres remonte à. . . Depuis, la tendance baissière est très transparente – hors Covid – d’autant plus que le rythme d’expansion risque d’être largement surestimé, ce qui rapprocherait l’expansion chinoise de l’expansion américaine et même de l’expansion quasi nulle de l’Europe. Deux éléments suggèrent que ces chiffres officiels, déjà faibles pour un pays comme la Chine, le sont encore plus dans la réalité. D’une part, en effet, le chômage des jeunes, les chiffres que la Chine s’est abstenue de publier parce qu’ils étaient très mauvais, semble assez paradoxal dans une économie vieillissante qui devrait faire face à une pénurie d’offre de main-d’œuvre. En revanche, l’absence d’inflation, alors même que le pays est l’un des principaux importateurs de matières premières dont les prix ont explosé, est étrange, à moins que cette situation paradoxale ne soit liée à un manque de demande et donc à une forme de récession qui ne se refléterait pas dans les statistiques.
Face à cette économie léthargique, le gouvernement durcit le ton et sévit contre les hommes d’affaires. Des membres du gouvernement ont disparu. Cette répression s’est également étendue aux entreprises étrangères, faisant fuir les investisseurs. La Chine se tire-t-elle une balle dans le pied ?
Jean-Marc Siroën : Cette confusion est une autre illustration des difficultés que rencontre la Chine pour changer de style. Chercher l’expansion tout en maintenant une formule politique stalinienne est un pari inimaginable. Certes, Xi Jinping n’a pas compris les limites d’un style d’expansion des entreprises basé sur la sous-traitance étrangère et une main-d’œuvre abondante et raisonnable. Mais il l’a interprété comme un excès de libéralisme et un contrôle inadéquat de l’État. Il croyait donc que cette transition se concrétiserait par un retour à l’étatisme et à une bureaucratie planagère surdimensionnée, dont les « routes de la soie » sont l’expression la plus impressionnante. Cette restructuration économique implique une restructuration politique avec son pourcentage d’épurations qui rendent envisageable de faire passer le devoir des difficultés aux boucs émissaires. Cette restauration s’est également traduite par le contrôle catastrophique du Covid, que Xi Jinping a voulu imposer comme style au monde et qui a finalement contribué à donner un symbole très négatif du style chinois en incitant les investisseurs étrangers à s’installer ailleurs. Le montant net des investissements directs en Chine est en train de s’effondrer.
Xi Jinping, qui est à San Francisco pour le sommet de l’APEC, rencontrera son homologue américain Joe Biden. Quel sera l’enjeu de cette rencontre ? La Chine peut-elle encore rivaliser avec les États-Unis dans sa quête de domination ?
Emmanuel Lintot : Pour les raisons évoquées ci-dessus, Xi Jinping sera probablement susceptible d’être apaisé. Rien de vital ne sortira de cette assemblée parce que le long terme dépend des résultats finaux des élections américaines et taïwanaises. C’est aux Européens de saisir cette opportunité, et il ne se passera pas grand-chose. À moins que vous ne soyez superstitieux, comme le sont beaucoup de Chinois, et que vous pensiez que l’année à venir du dragon sera marquée par de merveilleux bouleversements. Qui vivra verra. . .
Jean-Marc Siroën : Evidemment, on n’attend pas grand-chose de cette assemblée, même si les deux parties ont intérêt à apaiser les conflits publicitaires et politiques qui ont gelé leurs relations. La guerre industrielle déclenchée par Trump et validée par Biden pèse sur les exportations chinoises, et l’embargo sur les microprocesseurs freine son industrie. D’un autre côté, les États-Unis n’ont aucune préférence pour rapprocher Taïwan de l’Ukraine et du Moyen-Orient. Une question reste ouverte : l’interdépendance entre les deux plus grandes économies du monde suffira-t-elle à calmer leurs relations économiques, ou l’espoir de chacune de renverser le rapport de forces en sa faveur conduira-t-il à maintenir et à amplifier les tensions ?
Emmanuel Lincot, professeur à l’Institut catholique de Paris et sinologue, est chercheur associé à l’Iris. Son dernier e-book « Le Grand Jeu : Asie Centrale vs Pékin » est publié aux Editions du Cerf.
Jean-Marc Siroën est professeur émérite d’économie à l’Université PSL-Dauphine. Spécialiste de l’économie étrangère, il a publié des livres et des articles sur la mondialisation. Il est également l’auteur d’un récit fictif (en 3 volumes) sur l’économiste J. M. Keynes. « M. Keynes et les extravagants. » Site : www. jean-marcsiroen. dauphine. fr
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