Les drives fermiers explosent dans l’Yonne en raison du confinement

Publié sur 20/04/2020 à 07:30

À Branches, les chèvres du Gaec Desmoutiers-Breton se moquent bien de la crise. Confinement ou pas, le lait arrive et il faut bien en faire quelque chose. « Avant », Gérard vendait ses fromages sur six marchés différents. Mais ça, c’était avant.

« Quand ils ont été interdits, on était complètement paumés, ça a été très dur », commence le co-gérant. « Depuis, trois marchés ont rouvert, mais il n’y a pas autant de monde qu’avant… « 

Pour écouler ses produits, l’entreprise mise alors principalement sur le drive fermier d’Auxerre. Une plateforme marchande, lancée en 2014, pour mettre en relation producteurs locaux et consommateurs.

Si l’économie tangue, le drive, lui, est en plein essor. Avant l’épidémie, celui d’Auxerre enregistrait 70 achats par semaine. Aujourd’hui, il en compte plus de 300.

« Les commandes ont été multipliées par cinq. Pour nous, c’est une autre façon de travailler, on fait des livraisons, ça nous prend beaucoup de temps, mais c’est ça ou rien », confie l’éleveur de chèvres. 

Pour l’instant, la vente en ligne sauve les meubles. Mais la partie est loin d’être gagnée.  « On s’accroche, on espère. Ça fait 21 ans qu’on fait ça, on n’était pas du métier. On est parti de rien, si on perd tout maintenant… »

Au bout du fil, la voix de Gérard se brise. « C’est très dur. Beaucoup d’heures, beaucoup de temps. On ne dort pas trop la nuit »,  reprend-il, la gorge serrée. « J’espère qu’on va réussir à sauver l’entreprise. Mais ce sera une année à vite oublier. On n’avait jamais vécu ça. »

Comment faire ? Les clients se connectent sur l’interface de la structure la plus proche, ont accès au catalogue de produits disponibles, choisissent les produits et payent en ligne. Les trois drives du département (à Sens, Auxerre et Avallon) demandent de passer commande avant le mercredi soir, afin d’avoir suffisamment de temps pour transformer et préparer les colis pour le vendredi, jour de livraison, a des point de rendez-vous. 

Comme lui, beaucoup d’agriculteurs se démènent pour garder la tête hors de l’eau, en ces temps difficiles.  Sébastien Dubois, éleveur à Charny-Orée-de-Puisaye, propose lui aussi ses produits sur le drive fermier. Il s’y est mis il y a trois ans, conquis par les faibles charges et la liberté de fixer ses propres prix. « J’y vends environ 50% de ma production d’agneaux et 75% de celle des porcs. » Et autant dire qu’en ce moment, les journées sont longues. 

Finalement, là, sans rien faire, on se rend compte que quand les gens veulent, ils nous trouvent

« On a tendance a être débordé avec la multiplication des commandes. Ça décuple le boulot, on fait comme on peut pour arriver à fournir. On essaie de répondre au mieux pour garder nos clients habituels et montrer aux nouveaux que c’est bien de faire travailler les producteurs locaux. » Et même s’il en est ravi, cet engouement soudain pour les drives l’amuse. « Le reste du temps on fait de la pub, on essaie de se faire connaître. Finalement, là, sans rien faire, on se rend compte que quand les gens veulent, ils nous trouvent », glisse-t-il.

Ces nouveaux clients resteront-ils, une fois le confinement terminé ? Lui en doute. « On ne s’attend pas à ce que ça dure. En ce moment, les gens ont peur d’aller en grande surface, et ils sont chez eux, ils ont le temps, mais après ? » C’est là tout l’enjeu pour les acteurs du circuit-court en ligne : fidéliser les consommateurs dans le « monde d’après », et donc, les satisfaire dès aujourd’hui.

À la tête du drive fermier de Sens, Morgane Peuziat est saisie devant les chiffres. D’une trentaine de paniers hebdomadaires, à plus de 200, les ventes s’envolent. « On s’attendait à doubler, pas à quintupler ! Chaque producteur doit faire attention au stock qu’il met sur le site, pour qu’il n’y ait pas de rupture. On a des problèmes avec les oeufs par exemple, ils sont très demandés, mais les poules ne pondent pas plus qu’avant ! »

Le drive du Sénonais regroupe une vingtaine de producteurs.  À l’évocation d’un possible élargissement, la présidente hésite. « On manque de fruits, donc on sollicite déjà en temps normal ce type de producteurs, il faut toujours étoffer la gamme. Mais ça finit par devenir du travail à la chaîne et nous, artisans,  on ne sait pas faire. On arrive un peu à saturation. »

Parallèlement à l’approvisionnement, les agriculteurs s’investissent aussi dans la distribution, à tour de rôle. « La plus grosse question, c’est l’organisation. Quand il fallait deux personnes sur 17 pour assurer le retrait des commandes, le vendredi après-midi, il en faut maintenant six ou huit », détaille Nadine Darlot, responsable du drive d’Auxerre. 

Sans compter qu’il a fallu repenser les échanges avec les clients, pour limiter les contacts. « Il y a un circuit pour que la distribution se fasse un par un, mais on essaie surtout de faire en sorte d’apporter directement le colis au client. » 

Elle aussi essaie de penser à l’après. « Aujourd’hui, notre local à la Chambre d’agriculture interroge, il n’est pas très grand. Si on reste sur le même nombre de clients, il faudra s’agrandir, c’est certain. Pour l’instant, on pare au plus urgent. Ensuite, il y aura une réflexion collective. »

Dans l’ombre, la Chambre d’agriculture de l’Yonne veille.  Si les trois drives  que compte le département (Auxerre, Sens, Avallon, hors initiatives nées de la crise) sont des structures autonomes, l’organisme accompagne et soutient les producteurs. Alors que restaurants et cantines sont fermés depuis un mois, beaucoup s’interrogent sur les possibilités de commercialisation. Forcément, le concept du drive séduit. Et les réticences s’estompent. 

« Certains n’étaient pas forcément motivés avant, parce que cela implique de livrer toutes les semaines, parfois pour peu de commandes », précise Alice Demolder, conseillère spécialisée en diversification.

Mais aujourd’hui, le panier moyen a bondi, de 40 à 60 euros. « Habituellement, les clients sont plutôt des actifs, qui travaillent en ville et passent récupérer leur commande après le travail, le vendredi soir. On peut imaginer toucher un public plus large en ce moment. »

À Sergines, Morgane a justement re-découvert ce mode de vente. « Le confinement nous permet de mieux cibler nos achats, d’aller à l’essentiel et de moins consommer », explique la jeune femme. Elle s’était déjà essayée au drive fermier, à Dijon, avant de venir s’installer ici, en septembre. Elle est maintenant déterminée à poursuivre la démarche, au-delà du 11 mai. « Cela nous permet d’avoir des produits de qualité, à des prix très abordables, de faire travailler nos producteurs locaux et également d’offrir à notre fille de neuf mois des repas diversifiés, avec le vrai goût des aliments ». In fine, de sensibiliser la relève . 

 

Sophie Bardin

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bonjour, je suis cliente du drive fermier à Auxerre depuis sa création. j’espère vraiment que tous ces nouveaux clients resteront après … ce qui n’est pas gagné ! je suis heureuse pour eux car leurs produits reflètent la qualité et tout le travail qui est fait en amont. Merci à eux aussi.

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