Michel Maffesoli est membre de l’Institut Universitaire de France, professeur émérite de la Sorbonne. Il a publié en janvier 2023 deux livres intitulés « Le temps des peurs » et « Logique de l’assent » (Editions du Cerf). des livres « Ecosophie » (Ed du Cerf, 2017), « Êtres postmodernes » (Ed du Cerf 2018), « Nostalgie du sacré » (Ed du Cerf, 2020).
Maxime Tandonnet est essayiste et écrivain d’œuvres anciennes, ajoutant Histoire des présidents de los angeles République Perrin 2013, et André Tardieu, l’Incompris, Perrin 2019.
Atlantique : Alors qu’Emmanuel Macron organise un dîner avec les principales figures de la majorité ce mardi et qu’il s’apprête à réunir le 30 août toutes les forces politiques du Parlement dans un après-midi de débats pour construire des accords « utiles pour la France », le chef de l’Etat se mobilise dans le cadre de sa « grande initiative politique ». Bien que des engagements entre les composantes soient certainement utiles, ils ne remplacent pas une orientation mondiale claire. Mais Emmanuel Macron n’étouffe-t-il pas la démocratie et l’opinion publique ?Discutez-nous de votre stratégie en cette nouvelle saison politique ?Derrière les belles paroles du chef de l’Etat, n’y a-t-il pas un danger pour la démocratie ?Le chef de l’Etat ne confond-il pas valeurs, mesures techniques et cynisme tactique ?
Michel Maffesoli : Le « dîner de travail » avec sa majorité, les débats avec les forces de « l’opposition » valent bien sûr tant pour le contenu des débats et des décisions attendues que pour la mise en scène de ce nouvel « épisode » politique. Nous sommes au milieu d’une phase théâtrale. La démocratie décadente se termine dans le drame. Platon l’a déjà dit dans La République.
Par conséquent, je ne parlerais pas d’un danger pour la démocratie, mais d’une démocratie mourante, d’un régime en déclin complet. Emmanuel Macron n’est pas le « bourreau » de la démocratie, mais représente un simulacre (Baudrillard) de démocratie, une sorte de coquille vide. , un débat sans paris ni problèmes.
En fait, nous vivons la fin de l’ère moderne, de ses institutions représentatives, de sa formule de démocratie représentative. Pour qu’une telle formule fonctionne, les « forces politiques », les autres personnes au pouvoir, devront être représentatives du pouvoir populaire. L’établissement devra être en accord avec l’établissement. Les dynamiques populaires (instituer le pouvoir) devront innerver les établissements (pouvoir institué).
Il est surprenant de constater qu’il n’y a pas de problème, de facteur ou de contenu dans toutes ces annonces de discussion. La politique, disait le sociologue Julien Freund, c’est « le projet ». Cela expliquait la modernité et sa manière d’exercer le pouvoir.
Hannah Arendt a bien décrit ce qu’elle appelait « l’idéal démocratique » : « J’ai une représentation philosophique, je la divulgue, je vous convainc, vous me donnez votre voix, c’est une représentation politique. »d’être, à la base de la représentation politique, une conception de la société, de l’être ensemble » qui n’est pas inhabituel pour l’élu et l’électeur, pour le représentant et le représenté. C’est une conception philosophique qui, dans sa mise en œuvre, devient une conception politique. .
Mais ce qui frappe depuis quelques décennies, et qui est évident, c’est l’absence générale d’une conception de l’être ensemble, d’une conception philosophique de la vie sociale de l’élite de la force.
La « grande initiative politique » est réduite au rideau qui s’ouvre sur une scène vide.
Maxime Tandonnet : Il n’y a rien d’ordinaire à ce que le chef de l’État réunisse les dirigeants des partis politiques. Il est dans son rôle classique de Président de la République. Le défi réside dans le contexte dans lequel cette initiative est développée. Le président met fin à sa vie et à son mandat avant d’occuper la case médiatique avec des initiatives de communication. Depuis six ans, il lance des formules et se plonge dans une course perpétuelle à la recherche des dispositifs qui lui permettront de rester à la Une : les slogans « transformation de la France » et sortie du « vieux monde », le « les conventions citoyennes » à égalité (sur la fin de la vie ou l’écologie), le « grand débat » après la crise des gilets jaunes, « au lendemain » du premier confinement, puis « la fin de « l’abondance » au début de l’année scolaire 2022, le « conseil pour la refondation », les « cent jours » qui se poursuivent pour l’apaisement après le mouvement social sur les retraites et maintenant la « grande initiative » en vue d’un « preferfinishum » (sic). une succession de fiascos. Cette perpétuelle mise en scène s’avère être une course précipitée pour étouffer l’image réfléchie des effets de sa propre action ou de l’absence de direction, d’un projet.
Que pense-t-on de la mécanique intellectuelle des peintures d’Emmanuel Macron à travers ses projets ?La volonté du chef de l’Etat qui a besoin de triompher des divisions n’est-elle pas une sorte de gadgétisation de la démocratie et cela n’affaiblit-il pas la vie démocratique?
Michel Maffesoli : Regardons cette belle histoire à travers Andersen, « les nouveaux vêtements de l’empereur ». Un empereur d’un vieux pays aime la pompe et la représentation. Il aime aussi s’habiller, même s’habiller. Deux hommes viennent le voir et lui promettent de tricoter et de coudre pour lui le plus beau vêtement jamais imaginé, mais surtout un vêtement magique qui ne peut être perçu qu’à travers d’autres personnes intelligentes. L’empereur pense immédiatement à une coutume qui lui permettra de choisir dans son entourage les personnes les plus productives capables de régner avec lui.
Les deux voleurs, bien dotés en écus d’or, se mirent à peindre, tisser, coudre et se déplacer autour de leur métier à tisser. Le grand chambellan, les ministres, les chefs de l’opposition vinrent à tour de rôle, à la demande de l’empereur, se coller les uns aux autres. aux peintures. Tout le monde vous informe de la beauté du tissu, de la chute du vêtement, etc. Bien fatigué de voir qu’ils appartiennent à la famille élargie des idiots qui perçoivent quelque chose à propos de ce magnifique projet.
L’empereur malgré tout prend la décision de venir se voir et surpris de ne rien voir, lui qui n’avait jamais imaginé ne pas être d’une intelligence étonnante, se précipite pour jouer aussi, pour se fondre dans les louanges et s’habiller en magie. tenue. Peut-être, en tant qu’acteur intelligent, sent-il ce tissu doré flotter autour de lui.
Il décide même de l’exposer devant les autres qui ont fait un défilé géant. Les autres se rassemblèrent en prévision de cette magnifique habitude, qui permettrait à l’empereur de discerner immédiatement dans sa suite des conseillers intelligents et ainsi élaborer des projets pour améliorer la vie de tous, acclame avec enthousiasme l’empereur qui défile nu sur son cheval.
Soudain, un garçon crie: « L’empereur est nu! »Ses parents tentent de le faire taire, mais le mot est lancé, le silence obséquieux et absurde est brisé et de la foule le mot répété s’élève: « le roi est nu ».
Cela risque de mettre fin aux dernières tentatives d’un président qui n’est jamais à court de nouvelles présentations d’une force qui sait qu’elle n’a pas de force pour la cohésion sociale fondamentale.
Conseillers, ministres, limiers répéteraient peut-être les moindres protubérances inventées à travers les cabinets de communication du président, le message surgit d’abord chuchoté puis crié, puis crié : rien, ne dit rien.
Nous ne méritons pas de parler de la mise en scène d’une pièce de théâtre, d’une tragédie ou d’une comédie qui ritualise l’exercice du pouvoir, l’ancrant dans la culture comme le faisait le théâtre grec, mais plutôt des saisons d’une série télévisée très répétitive. L’épisode de retour politique inaugure ainsi la saison 7 de la série « Emmanuel Macron à l’Elysée », qui est annoncée partout, mais peut-être qu’il s’agirait d’une série dont l’audience serait réduite à celle de la bande-annonce.
Parce que, comme les tisserands corrompus d’Andersen, les conseillers en communication bien payés ne résisteront pas nécessairement longtemps au sens populaire et inhabituel. Le défilé se terminera probablement par une autre manifestation de protestation. Des forces majoritaires et d’opposition qui ne sont pas rares avec les médias turbulents prennent part à cette comédie et en profitent.
Parce que le jeu politique a été réduit à une course effrénée pour les options et les positions, dans le domaine politico-médiatique auquel notre démocratie moribonde a maintenant été réduite.
Maxime Tandonnet : Parler de « mécanique intellectuelle » ne me semble pas approprié. Sans doute, c’est plutôt au point de sa psychologie où l’on mérite de se positionner. Après sa belle élection en 2017, l’actuel chef de l’État s’est présenté comme le « président Jupiter », c’est-à-dire le dieu des dieux de l’Olympe et comme un héros national, affirmant que son parcours répondait au « goût français de la romance ». . Plus tard, il n’a cessé de subir des revers, des déceptions, de l’impopularité. Le sentiment de prestige s’est transformé en humiliation. Après sa réélection en 2022, conséquence des cas de covid 19, de la guerre en Ukraine, de l’absence d’opposant crédible, et une fois soutenue la présence de Le Pen au second tour, le résultat des élections législatives lui a refusé une majorité absolue Cela représentait un désaveu populaire cinglant. D’une communication à l’autre, le chef de l’Etat se retrouve plongé dans une course sans fin pour exister, être reconnu, pour tenter de regagner l’estime du pays dans son ensemble. Il apparaît et parle presque tous les jours. On a beaucoup parlé de « l’hyperprésidence » de Nicolas Sarkozy. Nous sommes désormais dans une hyperprésidence centuple qui n’intéresse plus personne du fait de sa banalisation. Une spirale infernale s’enclenche : plus le président apparaît sur scène, plus il banalise sa présence et moins intéresse l’opinion publique. Et désormais, il devra apparaître davantage pour se montrer et attirer l’attention. . . Le défi, selon lui, est de rester sur la piste pendant un an jusqu’aux Jeux Olympiques, où il compte bien triompher à nouveau. Il est évident que tout cela n’a plus aucun rapport avec la démocratie au sens de la force du peuple. Nous sommes dans un ouvrage sûrement déconnecté de la vérité de la France profonde et de ses difficultés.
En quoi Emmanuel Macron cherche-t-il à rendre les oppositions impuissantes en niant le clivage et les organes intermédiaires, alors que c’est ce qui est à la base de la démocratie ?Les dispositifs déployés par Emmanuel Macron ne démontrent-ils pas sa propension à rejeter le clivage et ses conséquences démocratiques ?Utilité tout en canalisant la violence de la société par la politique ?
Michel Maffesoli : Ce qui est à la base de la démocratie représentative, c’est en effet la recherche d’une majorité, la lutte pour la majorité. Par conséquent, il devra y avoir un conflit entre deux ou plusieurs conceptions politiques. Le « clivage » gauche/droite est une des manifestations de cette opposition des conceptions, cependant, il en existe d’autres, moins claires, moins divisées, ce qu’on appelle dans d’autres démocraties le « consensus » et que notre président tente de jouer. C’est celui marqué « en même temps » qu’il a joué dans sa première campagne présidentielle. Son dépassement des divisions. Ce qui n’était rien de plus qu’un moyen doux d’éliminer les concurrents potentiels. Dont il a d’ailleurs affirmé à plusieurs reprises, lui ou l’un de ses chambellans, qu’ils n’appartenaient pas à l’arc républicain.
Consensus modéré ou division brutale, tout dépend de la question.
En fait, je le répète, Emmanuel Macron n’est pas que démocratie, rien dans des eaux qui ne sont presque plus démocratiques. Parce que nous ne sommes plus dans l’ère des projets. Il n’y a plus d’option pour une conception philosophique globale de l’être ensemble. Ou il s’est diffracté en de multiples « coexistences » qui sont autant de situations locales, territoriales, occasionnelles et multiples. Les grands projets fédérateurs ne sont tout simplement plus pertinents.
C’est aussi la fin de la forme du parti. Il était fédéré autour d’une élite militante d’avant-garde qui aspirait à une allocation globale de la société. Aujourd’hui, les positions ne peuvent plus être homogènes et globalisantes. Les divisions sont en grande partie artificielles, mises en scène et à peine plus politiques au sens commun du terme. Le parti primaire est celui de l’abstention aux élections et les mobilisations sont variées et éphémères qui portent une commission révolutionnaire ou contre-révolutionnaire.
Les corps intermédiaires ont été abolis par la Révolution française, le « contrat social » qui unissait par un lien juridique et économique les Américains qui n’appartenaient à aucune corporation, confrérie ou autre communauté, professionnelle, religieuse, territoriale, etc. Mais nous assistons à la fin de cette ère moderne, individualiste et anti-corporatiste. Le mouvement des gilets jaunes, les manifestations contre la réforme des retraites et leur tentative de réaliser, malgré tout, la merveilleuse mission universaliste de la sécurité sociale (abolition des « régimes spéciaux »), les différentes marches blanches ou noires, les « émeutes », bref, tous ces « mouvements » sont des symptômes d’une résurgence des corps intermédiaires.
Les organes classiques qui fédèrent les forces et les traduisent en projets politiques, c’est-à-dire les partis industriels et les syndicats, sont des coquilles vides sans représentativité.
Concentrés uniquement sur la protection des intérêts de leurs membres, ils ne peuvent opposer une tâche éducative à la logorrhée communicante du ministre de l’Education nationale avec son pacte de contrefaçon, une éthique médicale à côté de la technocratie sur la formule fitness, etc.
Et puis précisément les manifestations de la force populaire qui ne sent plus rien en accord avec l’action politique de la force de plus en plus violente. Tout cela n’est qu’un prétexte pour un soulèvement.
Au niveau vide du pouvoir, qui souffre d’amuser un public de plus en plus rare, il répond aux multiples soulèvements, ponctuels, sans programme ni projet, qui ne reflètent qu’un besoin imparable d’un organisme pas inhabituel. Pour le meilleur et pour le pire.
Les dernières saisons d’une série déliquescente sont annoncées avec une merveilleuse publicité, mais les scénarios locaux rassemblent parfois des publics variés, rarement belliqueux, rarement pacifiques, généreux et enthousiastes.
La fin de la démocratie, certes, mais l’invention d’une nouvelle bureaucratie qui la contrôle n’est pas inhabituelle.
Maxime Tandonnet : Nous sommes dans le paradoxe d’une personnalisation exagérée de la force. Emmanuel Macron se présente, depuis 2017, comme le président Jupiter, seul incarnateur de l’autorité politique en France. Mais le mythe du leader tout-puissant est une sorte de rétribution de l’impuissance de la force. Plus la force politique apparaît intrinsèquement incapable de répondre aux difficultés ou malheurs de la France (éducatifs, industriels, déclin des forces, pauvreté, violence, inflation, crise hospitalière et du logement, perte des frontières, etc. ), plus elle se sent tentée . domestiquer le symbole du père protecteur, sauveur providentiel et grandiloquent. Cette conception de la force est profondément manipulatrice et trompeuse car dans la société actuelle, les mécanismes d’autorité sont infiniment complexes et le destin d’un pays n’est aujourd’hui pas entre les mains d’un seul individu. Quoi qu’il en soit, cette vision autocratique a finalement pour effet d’affaiblir ou d’asservir toute autre source de force rivale : le gouvernement, composé exclusivement de ministres de cour, le Parlement dont la souveraineté est détruite dans le symbole d’une réforme des retraites immensément impopulaire suivie sans le vote de l’Assemblée nationale, les autorités locales, méticuleusement étouffées, la haute administration, asservie et détruite par la suppression de leurs professions (préfets, ambassadeurs, etc. ). Une opération de communication comme la convocation des chefs de parti, ou l’annonce d’un « préférendum » vécu comme un gadget mort, aura du mal à recouvrir cette pierre de la destruction de la démocratie vivante, qui s’accompagne d’un effondrement de la confiance populaire.
Les tentatives de redressement politique d’Emmanuel Macron servent-elles à masquer les dissensions au sein de Macronia, notamment sur l’immigration ?
Maxime Tandonnet : Sans aucun doute, mais ce n’est qu’une facette du problème. Le scénario actuel est profondément absurde. Nous avons un président élu qui entend inclure à lui seul la force politique. Il est en fonction pour encore quatre ans et, grâce aux institutions, intouchable et protégé de tout appel à la responsabilité personnelle. Privé de majorité absolue à l’Assemblée nationale, il apparaît plus impuissant que jamais. On ne dira jamais assez à quel point la réforme des retraites projetée, poursuivie au forceps et au prix d’une profonde déchirure en France, est creuse et incohérente. Mais la scène politique est désespérément bloquée. Un homme d’État de caractère et de vision ferait tout son possible pour sortir de l’impasse : une dissolution ou un référendum sérieux impliquant la poursuite de son mandat selon un modèle gaulien. Personne n’imagine que l’actuel chef de l’Etat, dont la grandiloquence est présentée comme un masque de prudence et d’indécision, court un tel risque. Au-delà de son utilisateur et à travers lui, c’est tout un système, un régime fondé sur la vision fausse du « leader tout-puissant » pour pallier le manque de force politique face aux désordres des Français, qui montre aujourd’hui sa toxicité excessive. .
Michel Maffesoli est membre de l’Institut Universitaire de France, professeur émérite de la Sorbonne. Il a publié en janvier 2023 deux livres intitulés « Le temps des peurs » et « Logique de l’assent » (Editions du Cerf). des livres « Ecosophie » (Ed du Cerf, 2017), « Êtres postmodernes » (Ed du Cerf 2018), « Nostalgie du sacré » (Ed du Cerf, 2020).
Maxime Tandonnet est essayiste et écrivain d’œuvres anciennes, ajoutant Histoire des présidents de los angeles République Perrin 2013, et André Tardieu, l’Incompris, Perrin 2019.
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