Publié sur 04/23/2020 à 20:00
Paradoxal. Voilà l’adjectif trouvé par Patrick Colo, président de l’APAJH Creuse, principale association du département en terme d’établissements et de services destinés à accompagner les personnes en situation de handicap, pour décrire l’attitude des pouvoirs publics et de la société face à au handicap en temps de crise.
« On n’apparaît pas sur le plan médiatique, la priorité c’est le sanitaire. Et en même temps, les autorités sont très soucieuses que l’on puisse faire notre travail correctement. Ils ont besoin de nous »
C’est surtout les personnes en situation de handicap qui ont besoin d’eux. À commencer par les personnes dont l’autonomie est fortement réduite. « Pour des personnes qui ont de gros problèmes de communication, il faut prendre tout le temps pour expliquer, leur faire comprendre pourquoi on ne peut plus serrer la main pour dire bonjour… Ca prend du temps mais on y arrive?! » raconte Anne-Marie Bayle, directrice de la Maison d’accueil spécialisée (MAS) de Sauzet, à Budelière, qui accompagne continuellement les personnes en situation de handicap sévère. Et si pour le moment aucun résident n’a été déclaré positif au Covid-19, la survenue d’un premier cas est source d’angoisse.
« Tout le monde le redoute : s’il y a un cas, cela veut dire qu’il y en aura vraisemblablement plusieurs, et nous avons beaucoup de personnes fragiles, dont des personnes avec des problèmes respiratoires. Mais on est prêts, on a fait des exercices de mise en situation »
C’est ce sentiment d’une responsabilité lourde qui peut être très pesant pour les professionnels : « Avec toutes les recommandations qu’on recevait de l’ARS, on s’inquiétait en permanence de se dire qu’on n’était pas dans les clous, qu’on ne faisait pas ce qu’il faut d’un point de vue légal voire moral », témoigne Françoise Pineau, directrice adjointe de la résidence de la Fontaine, foyer d’hébergement de personnes en situation de handicap à Guéret.
Pendant le confinement, les personnes en situation de handicap hébergées au foyer La Fontaine de Guéret s’occupent par la peinture.
Dans cette «grande maison confinée» où 17 personnes en situation de handicap résident, les règles strictes de confinement ont été dans un premier temps très dures à avaler. Au début du confinement, il était strictement interdit de sortir de l’enceinte de l’établissement, même pour faire des courses ou se promener. Des règles appliquées indistinctement à tous les établissements médico-sociaux, pour des raisons évidentes de sécurité. Parmi les interrogations récurrentes des résidents : « Comment j’achète mon tabac ? Comment je retire mon argent ? »
« C’est très difficile pour ces personnes actives de ne pas sortir. Certaines ont perdu la notion du temps, ne font plus la différence entre le jour et la nuit. La vie n’est plus structurée par le travail, et l’ennui casse les repères »
Les accompagnateurs de l’Adapei improvisent alors, jonglant entre les recommandations et le bon sens. « On limite les activités collectives, on s’occupe par petits groupes avec le badminton, la pétanque, les jeux de sociétés et puis le dessin… Ils n’ont jamais autant colorié ! », décrit Françoise Pineau.
Le cas des personnes en situation de handicap isolées, confinées à leur domicile, nécessite également une mobilisation de tous les instants. « Le fait de tourner en rond chez soi peut faire réapparaître des troubles psychologiques, comme l’addiction à l’alcool », rappelle Sébastien Vitte, éducateur au Service d’accompagnement à la vie sociale (SAVS) à La Souterraine. Sébastien Vitte doit visiter régulièrement 17 personnes handicapées pour « veiller au grain », maintenir le lien social avec elles, les aider à organiser leurs vies confinées. Il ne ménage pas ses efforts : comme ces personnes n’ont pas l’habitude de rester autant de temps chez elles, leur besoin d’être visité est triplé. Il doit donc travailler les week-ends et les jours fériés. « Je termine souvent mes journées sur les rotules, également parce que je m’imprègne de l’angoisse des résidents », confie Sébastien Vitte.
Émilie Péricat, chargée de développement de APF Handicap en Creuse, confirme cette nécessité de parler longuement pour apaiser les angoisses des personnes en situation de handicap, elle qui téléphone régulièrement aux trente adhérents à l’association.
« Une des adhérentes ne voulait plus recevoir d’aides à domicile chez elle car elle a vu que dans le Grand Est, les hôpitaux étaient si débordés que les handicapés n’étaient pas prioritaires »
Heureusement, une telle situation n’est pas à déplorer en Creuse. « Nous n’avons pas eu des problématiques qu’on a pu voir dans d’autres territoires. Nous sommes très en lien avec les hôpitaux et les autres associations du département », affirme Véronique Quet, présidente de l’Adapei 23, association de parents et de familles de personnes en situation de handicap.
Ce lien très étroit avec les acteurs locaux, notamment les collectivités et l’ARS, est une des forces du département selon Nicolas Bazzo, directeur de l’ALEFPA sur les départements du Limousin, gérant plusieurs établissements médico-sociaux en Creuse, et qui n’a jamais eu à se plaindre d’un manque de visibilité financière.
Ce que ces associations déplorent le manque de réactivité au début de la crise.
« On a commencé par être oubliés. On a parlé que des Ehpad et des hôpitaux. On a dû se battre pour parler de handicap »
Avec une confusion fréquente entre la situation des retraités en Ehpad et celle des personnes en situation de handicap qui a parfois conduit à des conditions de confinement inacceptables pour des personnes actives. « Heureusement, la crise montre des capacités d’adaptation extraordinaires, de solidarité. On n’a pas attendu la crise pour bâtir la société de demain, qu’on veut plus inclusive », souligne Nicolas Bazzo.
Un esprit d’adaptation symbolisé par l’établissement et service d’aide par le travail (ESAT) de la Souterraine, qui emploie une quarantaine de personnes en situation de handicap, et a rouvert son atelier de couture pour prendre part à la lutte contre le Covid-19 : deux personnes en situation de handicap y confectionnent une quinzaine de masques par jour, encadrées par leur monitrice d’atelier. A l’atelier de couture de l’ESAT de la Souterraine, deux personnes en situation de handicap produisent des masques pour les éducateurs spécialisés.
La production, certes modeste, répond à un besoin essentiel puisqu’elle est destinée aux éducateurs du SAVS (Service d’accompagnement à la vie sociale) et des foyers d’hébergement, qui manquaient de masques au début du confinement. Une manière de protéger les personnes qui les protègent.
« Les deux travailleurs sont très heureux, très fiers de le faire. Et puis, ça leur fait tellement de bien de sortir, parce que ca devenait compliqué de rester confinés »
Certains établissements comme l’Institut médico éducatif (IME) de Felletin, qui prend en charge l’éducation d’enfants handicapés intellectuels ou autistes, ont dû se réorganiser entièrement. « On ne peut plus accueillir les enfants sur le site, mais on se déplace chez eux pour assurer la continuité de l’Institut », explique son directeur William Tixier. Sauf pour un cas exceptionnel : un enfant qui n’avait pas eu de possibilité de retourner dans sa famille d’accueil est hébergé 24 heures sur 24 sur le site.Un jeune handicapé suivi sept jours sur sept à l’IME de Felletin, car il n’a pas pu être dans sa famille d’accueil.
Pour assurer sa prise en charge, l’IME a monté une équipe pluridisciplinaire en urgence. « Il y a des éducateurs techniques, d’internat et un éducateur sportif aussi. Un suivi médical et une veille de nuit sont mis en place. Comme si on fonctionnait normalement en semaine, sauf qu’on travaille aussi le week end. Tous ceux qui peuvent travailler interviennent à tour de rôle», détaille William Tixier.
Un état d’esprit que résume Anne-Marie Bayle avec cette formule: « De toute façon on n’a pas le choix et c’est pour eux ».
Ce Yakubovich
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