Anti-cancer des régimes alimentaires, des aliments ou des nutriments: de quoi parlons-nous?

Le cancer nous préoccupe : il peut nous toucher personnellement ou toucher nos proches. La crainte d’un cancer ou le diagnostic lui-même s’accompagnent souvent d’une recherche d’information dans différents médias et via Internet. Dans cette quête d’informations, le rôle de l’alimentation tient une place importante. Puisque l’on doit se nourrir chaque jour, l’alimentation est un domaine particulièrement familier et sur lequel on peut agir directement et faire des choix au quotidien.

Il existe un lien entre l’alimentation et le cancer? Sont là « anti-cancer » aliments?

Depuis une vingtaine d’années, des allégations de régimes, d’aliments ou de nutriments anticancer font régulièrement la une des médias et sont formulées ou entretenues par des auteurs d’ouvrages à succès. Ces allégations sont déclinées sur différents supports (articles, ouvrages…), produits (régimes en kit, compléments alimentaires) ou services (conférences, stages, consultations), qui sont payants et représentent un véritable marché.

Pourtant, dans le même temps, les institutions françaises ou internationales officiellement en charge de l’évaluation des connaissances dans le domaine de l’alimentation et du cancer, et les experts eux-mêmes, tentent d’informer le public et les patients sur les liens avérés entre alimentation et cancer et sur le fait qu’il n’existe pas d’aliment particulier, de régime ou de nutriment miracle pouvant à lui seul prévenir ou traiter le cancer.

Entre les messages de santé publique validés scientifiquement et les informations qui circulent, il existe un important décalage sur lequel nous nous proposons de donner quelques éclairages.

Les travaux d’expertise collective de l’Institut national du cancer (INCa) [1], du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) [2], du World Cancer Research Fund (WCRF) et de l’American Institute for Cancer Research (AICR) [3] évaluent et actualisent les niveaux de preuve (cf. encadré) des relations nutrition/alimentation et cancer. Ainsi, des niveaux de preuve convaincants ou probables ont été établis pour plusieurs facteurs nutritionnels, bénéfiques ou délétères. Ici, la nutrition englobe les aliments, mais aussi les compléments alimentaires, les boissons (y compris l’alcool), l’activité physique et le statut nutritionnel (notamment la corpulence).

On sait actuellement qu’en France, 40 % des cancers sont liés au mode de vie et à l’environnement [2]. Parmi les quatre principales causes de cancer évitables, après le tabac, trois concernent la nutrition : l’alcool, l’alimentation déséquilibrée et la surcharge pondérale (surpoids et obésité).

Concernant l’alimentation, il est recommandé de manger équilibré (voir figure 1). Ces recommandations sont compatibles et cohérentes avec les nouvelles recommandations nutritionnelles du Programme national nutrition santé destinées aux adultes français, qui visent à améliorer la prévention nutritionnelle des maladies chroniques dans leur ensemble (maladies cardio-vasculaires, cancers, diabète…) [4]. Elles sont relayées par le réseau NACRe (Réseau national alimentation cancer recherche, constitué d’équipes de recherche publique et d’experts) qui joue actuellement un rôle important dans l’information des publics (grand public, patients, professionnels de santé, médias…) [5].

Le nombre d’études scientifiques disponibles concernant le rôle de l’alimentation chez les personnes déjà atteintes de cancer est bien plus limité que pour la prévention primaire de ces cancers (en amont de l’apparition de la maladie). On sait néanmoins que l’état nutritionnel des patients atteints de cancer a un impact sur la qualité de vie, la tolérance aux traitements anti-cancer et le pronostic de la maladie. Il varie selon le type de cancer, le stade de la maladie et les effets secondaires des traitements, et dépend aussi des maladies antérieures. De nombreux patients ont des difficultés à s’alimenter pendant les traitements. Certains souffrent de dénutrition, d’autres, à l’inverse, prennent trop de poids. Des recommandations spécifiques à ces différentes situations ont donc été élaborées [6]. La prévention de la dénutrition (se traduisant par une perte de poids ou de muscle), son dépistage et son traitement sont ainsi des enjeux majeurs de la prise en charge des patients atteints de cancer [7].

Depuis plusieurs décennies, la médecine traditionnelle fondée sur la transmission passive de l’information et reposant principalement sur les observations de physiopathologie et l’expérience personnelle des médecins a fait place à une médecine fondée sur des preuves. Celle-ci s’appuie désormais sur la lecture critique de la littérature scientifique, la prise en compte du « niveau de preuve » et prévoit une réévaluation permanente des connaissances [1]. Cette démarche s’applique au rôle de l’alimentation pendant la maladie pouvant conduire à des recommandations pour la prise en charge nutritionnelle des cancers. Elle est également nécessaire pour établir ou approcher une relation de causalité entre le facteur alimentaire considéré et le risque de maladie, pouvant conduire à des recommandations pour la prévention nutritionnelle des cancers.

Les études scientifiques publiées qui sont prises en compte sont, par ordre d’importance décroissant :

Intervention Tests 1

NB : les études d’intervention ne sont pas réalisables avec des facteurs de risque, pour des raisons éthiques. Les études d’intervention avec des régimes alimentaires sont sou

vent difficiles à mettre en œuvre, l’intervention ne pouvant pas être de longue durée, ni réalisée en aveugle.

Des études

épidémiologiques d’observation

Les études mécanistes chez l’animal ou sur cellules en culture.

NB : Les études expérimentales réalisées sur des modèles animaux ou des cellules en culture sont utiles pour analyser la plausibilité biologique de la relation entre un facteur étudié et le risque de cancer. Lorsque leurs résultats sont encourageants et cohérents, elles peuvent servir de point de départ pour construire des études épidémiologiques ou des essais cliniques chez l’Homme mais elles ne suffisent pas à établir des niveaux de preuve chez l’Homme.

1 | Latino-Martel P et al., « Comment passer du niveau de preuve aux recommandations de santé publique  », Fonds français Alimentation & Santé, Lettre scientifique n° 2, septembre 2001. Sur alimentation-sante.org

De nos jours, les consommateurs attendent beaucoup de l’alimentation pour améliorer leur santé et leur bien-être. Plutôt que de modifier leurs habitudes alimentaires, certaines personnes choisissent de prendre des antioxydants sous forme de compléments alimentaires. D’autres, sensibles aux promesses qu’on leur fait miroiter, recherchent des super-aliments dont le principal attribut serait la présence abondante de certains antioxydants. D’autres encore se lancent dans des régimes restrictifs.

Les allégations anti-cancer, comme celles illustrées dans la figure 2, évoquent des effets rapportés uniquement par des études expérimentales réalisées sur des animaux de laboratoire ou des cellules en culture. En l’absence d’études convaincantes chez l’Homme, ces allégations ne sont pas fondées.

En prévention, la notion d’aliment ou de nutriment anti-cancer est trompeuse, car les cancers ont des origines multifactorielles et aucun aliment ou nutriment particulier ne peut servir « d’antidote ». Pour 90 à 95 % des cancers, il existe une interaction entre le patrimoine génétique et les facteurs de risque et de protection auxquels l’organisme est exposé tout au long de la vie [8]. Agir efficacement en prévention des cancers, c’est commencer par éviter de s’exposer aux facteurs de risque importants comme le tabac, l’alcool, le déséquilibre alimentaire et la surcharge pondérale. Croire que l’on peut échapper à un cancer grâce à un aliment ou un complément alimentaire, ou en évitant un aliment particulier tout en continuant de s’exposer à ces facteurs de risque est un leurre !

Concernant les antioxydants (polyphénols, vitamine C…) apportés par les prétendus « superaliments anti-cancer » tels que le curcuma, le gingembre, le corossol, le jus de grenade, le thé vert, le citron congelé…, il est nécessaire de tirer les principales leçons des recherches dans ce domaine [9].

Les substances dites « antioxydantes » 3 sont capables d’exercer de multiples effets biologiques pouvant s’avérer protecteurs ou délétères selon la situation physiopathologique [10]. À forte dose, elles peuvent se comporter comme des pro-oxydants et s’avérer pro-cancérogènes chez des sujets exposés à des facteurs de risque [11]. C’est, par exemple, ce qui a été démontré pour les compléments alimentaires contenant de fortes doses de bêta-carotène, qui augmentent le risque de cancers du poumon et de l’estomac, notamment chez les fumeurs et les personnes exposées à l’amiante.

Dans les phases avancées du développement tumoral (cancer préclinique), le stress oxydant (que les antioxydants visent à prévenir) peut même exercer un frein à l’égard de la progression tumorale. Ainsi, dans le traitement du cancer, certains agents de chimiothérapie sont utilisés car ils détruisent les cellules cancéreuses en générant un stress oxydant. Dans ces deux situations, ingérer des antioxydants en grande quantité peut donc s’avérer délétère [12].

On assiste en France à un engouement du public et des patients atteints de cancer pour la pratique du jeûne. De nombreux ouvrages grand public, des cliniques et des organisateurs de randonnées [13] faisant la promotion du jeûne en lien avec la santé dans un but préventif ou curatif témoignent de cet engouement et l’amplifient. Certains allèguent des effets bénéfiques à l’égard du cancer comme une meilleure tolérance et efficacité des traitements. Ces allégations suscitent de nouvelles attentes chez les patients atteints de cancer. Certains sollicitent les professionnels de santé des services d’oncologie pour mettre en pratique le jeûne pendant leur traitement. D’autres le pratiquent sans en informer les professionnels de santé intervenant dans le parcours de soin.

Dans ce contexte, le réseau NACRe a réalisé une revue systématique de la littérature scientifique et publié un rapport d’expertise collective [14] qui infirme ces allégations :

niques, sont peu nombreuses. Les essais cliniques sont de faible qualité car le plus souvent ils n’ont pas de groupe contrôle et ils incluent un faible nombre de sujets.

D’après le Baromètre cancer (enquête de surveillance sur un échantillon de 4 000 personnes, représentatif de la population française) [15], les adultes français sont relativement nombreux à ne pas connaître l’influence des facteurs alimentaires sur le risque de cancer (en 2015, entre 38 % et 88 % selon le facteur alimentaire considéré).

Or, une étude anthropologique suggère qu’en situation de déficit d’information et de conseils sur l’alimentation, des personnes atteintes de cancer se tournent vers des personnes qui proposent des pratiques thérapeutiques complémentaires non conventionnelles et non validées (naturopathie, homéopathie…) [16].

Des travaux épidémiologiques récents utilisant les données de la vaste cohorte française NutriNet-Santé [17] apportent des informations nouvelles et plus précises sur les pratiques de recherche d’information et les opinions en matière d’alimentation :

Même si, d’une manière globale, les aliments contenant des antioxydants, notamment les fruits et légumes, participent à une alimentation saine, équilibrée et diversifiée et contribuent à réduire le risque de maladies chroniques, l’intérêt « supérieur » des prétendus super-aliments anti-cancer est loin d’être démontré.

De même, il n’y a aucune preuve que les antioxydants soient des antidotes universels contre les maladies. Dans les populations « bien nourries », donc à faible risque de carences en antioxydants, les compléments alimentaires pourraient même présenter certains risques, et leurs effets à long terme sont encore très mal connus. Avant tout, dans l’état actuel des connaissances, la communauté scientifique déconseille la prise de compléments alimentaires au long cours, a fortiori la combinaison de compléments alimentaires, surtout en cas d’exposition présente ou passée à des facteurs de risque.

Le jeûne, quant à lui, est un fait social que le monde médical et les agences sanitaires ne peuvent ignorer, bien que ses vertus thérapeutiques n’aient pas été démontrées. Les patients fondent beaucoup d’espoir dans les pratiques non conventionnelles. Les professionnels de santé doivent donc être à l’écoute des attentes de leurs patients et permettre un dialogue tenant compte de l’état actuel des connaissances scientifiques et des risques éventuels. Des programmes de formation sur les médecines complémentaires et sur les régimes restrictifs tels que le jeûne pourraient être proposés aux professionnels de santé, notamment aux soignants des services d’oncologie.

Finalement, dans ce contexte cacophonique où les recommandations officielles cohabitent avec des messages contradictoires ou infondés, il est important d’élaborer des stratégies visant à transmettre de manière plus efficace les messages clés au grand public et aux patients.

Paule Latino-Martel, Julie Ginhac, Juliette Bigey, Philippines Fassier, Mathilde Touvier

Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a coordonné une étude des causes du cancer en France qui a impliqué plus de 80 chercheurs [1] . En 2015, on a dénombré 350 000 nouveaux cas de cancers, dont 140 000 (41 %) liés au mode de vie et à l’environnement. La première cause évitable de cancers en France est le tabac auquel 69 000 cancers sont attribuables en 2015, soit 20 % des cancers. Mais la nutrition, si on inclut l’alcool, l’obésité et le surpoids, est aussi une cause de cancer très importante : 28 000 cancers sont attribuables à la

consommation de boissons alcoolisées (deuxième cause de cancers en France), 19 000 à une alimentation non optimale, 19 000 à l’obésité et au surpoids1. À ceci s’ajoutent chaque année 3 000 nouveaux cas de cancers dus au manque d’activité physique.

Dans cette étude, une alimentation non optimale est définie par la consommation de moins de 300 grammes de fruits par jour, moins de 25 grammes de fibres par jour, des viandes transformées (jambon, pâté, saucisse…), plus de 300 grammes de viande rouge par semaine, moins de 300 grammes de légumes non féculents par jour, et moins de deux portions de laitages (15 cl de lait, 30 g de fromage, un yaourt) par jour.

Le tableau présente les estimations des fractions attribuables à la nutrition par localisation des cancers. Dans l’alimentation, ce qui contribue le plus au risque de cancer de la population est l’insuffisance de consommation de fruits (4 900 cancers) et de fibres (4 700 cancers), la consommation de viande transformée (4 400 cancers), trop de viande rouge (2 000 cancers), pas assez de légumes (1 800 cancers) et pas assez de laitages (850 cancers). Environ 69 % des adultes ne consomment pas les quantités recommandées de fruits, 85 % ne consomment pas assez de fibres alimentaires, 69 % pas assez de légumes et 39 % pas assez de produits laitiers. Par ailleurs, 62 % des adultes consomment des quantités de viande rouge supérieures à celles recommandées et 84 % des adultes consomment des viandes transformées.

Et 58 % de la population n’a pas une activité physique d’intensité modérée pendant 30 minutes par jour (comme, par exemple, passer l’aspirateur ou faire du vélo tranquillement).

Catherine Hill (épidémiologiste)

1 centre International de Recherche sur le Cancer, « la Vie et l’Environnement des Cancers en France Métropolitaine, » 2018. Sur gco.iarc.fr

1 Pour être de bonne qualité, les essais d’intervention doivent comporter deux groupes (intervention et contrôle), porter sur un grand nombre de sujets répartis de manière aléatoire dans les deux groupes, et être réalisés en double aveugle (pendant l’intervention, les responsables de l’étude et les sujets ignorent qui est affecté dans chacun des groupes).

2 Analyses statistiques qui combinent et synthétisent les résultats de plusieurs études.

3 Un antioxydant est une molécule capable de neutraliser des radicaux libres (espèces chimiques présentant un ou plusieurs électrons non appariés, caractérisées par une très grande réactivité et un pouvoir oxydatif), et donc de protéger la cellule des lésions induites par ces radicaux libres. Des antioxydants peuvent être apportés par l’alimentation (vitamines E et C, caroténoïdes, certains polyphénols…). Certains antioxydants à forte dose (consommés sous forme de compléments alimentaires ou d’aliments enrichis) se comportent comme des pro-oxydants, c’est-à-dire que contrairement à l’effet attendu, ils conduisent à la formation de radicaux libres.

Équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (EREN), UMR 1153 CRESS Inserm – U1125 Inra – Cnam – Université (…)

est Directrice de recherche. Coordinatrice du Réseau National Alimentation Cancer Recherche (réseau NACRe), (…)

est gestionnaire de projet NACRe

est chargé de communication, de ressources documentaire et webmaster pour le Réseau NACRe chez INRA (…)

est doctorante et chercheuse au Centre de Recherche en Epidémiologie et Statistiques Sorbonne Paris Cité (CRESS), (…)

est chercheur à l’Inserm, directeur de l’EREN (U1153 Inserm / U1125 Inra / Cnam / Université Paris 13 – l’Équipe de (…)

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