L’auteur est directeur général pour le Québec et l’Atlantique de la Fondation David-Suzuki.
La pandémie a coupé le souffle d’un mouvement que rien ne semblait plus arrêter il y a six mois à peine, après que nous ayons été un demi-million dans les rues de Montréal, et des dizaines de milliers de personnes partout au Québec, pour demander à nos gouvernements de répondre à l’urgence climatique. L’idée même d’une foule monstre rassemblée sous le soleil de l’été indien semble aujourd’hui appartenir à une autre époque. C’était il y six mois, il y a un siècle, une éternité.
Alors que la pandémie fait rage et que le mouvement écologiste est confiné, l’industrie pétrolière, qui fait face à un baril à prix négatif, utilise la crise pour obtenir des concessions qui vont bien au-delà de l’aide d’urgence, au Canada comme aux États-Unis. Tout est sur la table, suspension des réglementations environnementales, de la tarification du carbone et des règles de transparence sur le lobbying, injection de milliards en fonds publics, exemptions fiscales. Ce n’est pas sans rappeler ce que Naomi Klein (auteure du livre No Logo : la tyrannie des marques) a appelé la stratégie du choc : utiliser une crise, alors que la population vit dans la peur et la précarité, pour faire valoir les grands intérêts financiers et économiques au détriment du bien commun.
Malgré la pandémie, notre budget carbone continue de s’épuiser à grande vitesse. En octobre 2018, le GIEC nous donnait jusqu’à 2030 pour réduire les émissions mondiales de 45 % par rapport à leur niveau de 2010. Selon les dernières évaluations du très crédible site web Carbon Brief, du Royaume-Uni, la COVID-19 va causer une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 5,5 % par rapport à 2019, soit la plus importante baisse de l’Histoire.
Cependant, pour atteindre les objectifs fixés par la science, nous devrions réduire les émissions d’une fourchette de 6 % à 7 %, chaque année, d’ici 2030. Et tout indique que les émissions rebondiront dès que l’économie reprendra de la vigueur. Voici un constat qui montre la position critique dans laquelle l’humanité se trouve alors qu’elle fait face à sa pire crise sanitaire en 100 ans.
L’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) calcule que l’atteinte de nos objectifs climatiques exigera des investissements de 110 000 milliards de dollars d’ici 2050. L’Agence internationale de l’énergie estime quant à elle que la transition énergétique génèrera des gains économiques nets de plus de 100 000 milliards de dollars d’ici 2050, créant plus de 28 millions d’emplois dans le monde.
Pour que de tels investissements se concrétisent, les pays de l’ensemble de la planète doivent poser des gestes décisifs pour orienter l’économie et transformer nos modèles énergétiques. C’est pourquoi, bien avant la pandémie, les scientifiques, les experts du secteur énergétique et les militants écologistes réclamaient une mobilisation économique comparable à celle de la Deuxième Guerre mondiale alors que l’ensemble de l’appareil industriel avait été mis à contribution dans l’effort de guerre. D’autres réclamaient un nouveau plan Marshall mis en œuvre pour la reconstruction de l’Europe d’après-guerre, ou un programme Apollo, qui a envoyé des hommes sur la lune et représenté jusqu’à 4 % du PIB américain dans les années 1960.
Mais la proposition qui a le plus capté l’imaginaire du mouvement est celle du New Deal vert, lancée par le Sunrise Movement aux États-Unis et portée notamment par la représentante démocrate de Queens Alexandria Ocasio-Cortez. Cette proposition réfère au New Deal adopté par le président Roosevelt pour sortir les États-Unis de la dépression des années 1930. Elle consiste en des investissements massifs dans une transition juste et une transformation de notre modèle économique.
L’idée d’un New Deal vert qui a émergé en 2018 apparaît aujourd’hui visionnaire alors que les pays du monde entier déploient des plans d’urgence d’une ampleur inédite depuis la Deuxième Guerre mondiale et la grande dépression. Au Canada, on estime que l’effort de relance représentera plus de 13 % du PIB, et il pourrait atteindre 20 % du PIB aux États-Unis. On parle aujourd’hui ouvertement de l’instauration d’un revenu minimum garanti, d’une démondialisation, d’une plus grande autonomie économique et alimentaire.
En somme, les investissements massifs qui semblaient inconcevables il y a à peine six mois se matérialisent en ce moment à grande vitesse et sans débat public. Les plans de relance en préparation sont le plus grand levier de transformation en trois générations, et notre dernière chance d’atteindre les objectifs fixés par le GIEC et l’accord de Paris. Une fois cette vague d’investissement passée, les États n’auront plus les moyens d’intervenir de manière décisive pour une décennie ou plus, et il sera alors trop tard.
Notre dernière chance se joue donc maintenant. L’avenir du climat sera décidé dans les prochains mois dans un contexte de crise, alors que le mouvement pour le climat est confiné et que les débats démocratiques sont inexistants. C’est pourquoi un groupe d’organisations québécoises, le G15, s’est mobilisé pour tendre la main au gouvernement du Québec et proposer des mesures de relance verte en appui à une transition juste. Des appels similaires ont été faits par d’autres organisations au niveau fédéral.
Nous sommes à un point tournant de l’Histoire. En marchant avec les jeunes en septembre, nous avons signé un pacte, et ce pacte tient toujours malgré la pandémie, malgré les morts, l’isolement et la souffrance. Un New Deal vert est non seulement possible, mais il est désormais nécessaire. Il est temps de relever la tête et de l’exiger. Nous n’avons plus rien à perdre parce que le statu quo nous amène directement au précipice. Pour paraphraser Roosevelt, désormais : « La seule chose que nous devons craindre est la peur elle-même. » C’est notre dernière chance, ne la laissons pas nous échapper.
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