Face à coronavirus, les marchands de la Haute-Vienne bien isolé

Publié 04/26/2020 à 7:55 PM

« Il y a des effets d’annonce. Mais au bout du compte, moi, j’ai droit à rien. » Sébastien Naranjo est gérant de deux boutiques Bouygues Télécom, à Limoges et Boisseuil. Avec la crise du Coronavirus et le confinement, « il pourrait ouvrir », mais il a « choisi » de ne pas le faire : « De toute façon, les gens n’ont pas le droit de venir », souligne-t-il, amer de cette incohérence, liée au confinement. Conséquence, il a mis ses huit salariés au chômage partiel. Ils touchent ainsi 84 % de leur salaire net, mais « ça ne coute pas zéro à l’entreprise », ajoute-t-il, puisqu’il a choisi, lui, de compenser les 16 % restants. « Ça va faire une somme non négligeable », souligne le responsable. Lui, en revanche, ne s’est pas versé de salaire. « J’avais quelques économies de côté », glisse-t-il. 

Sébastien Naranjo n’est pas le seul dans cette situation et le gouvernement en a conscience. Pour les indépendants et travailleurs non-salariés, il a créé un fonds de solidarité, pour les sociétés « avec un chiffre d’affaires annuel inférieur à 1 million d’euros et un bénéfice annuel imposable inférieur à 60 000 euros ».  L’aide est composée de deux niveaux. Le premier, un chèque de 1.500 €, versé par les impôts et réhaussé cette semaine à 2.000 € dans le cadre des discussions au Sénat. Mi-avril, cette aide en Haute-Vienne avait bénéficié à 2.652 entreprises de Haute-Vienne, pour un montant global de 3,5 M€, soit une moyenne de 1.321 €.

Comment le PGE (état-garantie de prêt) de travail?

La procédure se fait en deux temps. « Le commerçant doit d’abord se rapprocher de sa banque personnelle, explique le représentant haut-viennois de la Banque publique d’investissement (BPI), Djamel Meriem. La banque doit lui donner un pré-accord. Généralement, le taux de refus est très faible et le refus est très souvent lié à des difficultés constatées avant la crise. » Site. Une fois muni de ce pré-accord, le commerçant ou le chef d’entreprise peut se rendre sur le site géré par la BPI : attestation-pge.bpi-france.fr. « Il va devoir renseigner son numéro Siren et le site va lui donner un numéro unique, qu’il devra ensuite transmettre à sa banque, qui lui donnera son accord. En fait, le pré-accord qu’elle lui a donné plus tôt est simplement placé sous réserve de l’obtention de ce numéro unique, qui sert à valider la procédure et à éviter qu’une personne ne demande plusieurs prêts. » Limitation.« Le PGE est limité à 25 % du chiffre d’affaires annuel, indique Djamel Meriem. Les entreprises ne peuvent pas demander 50 ou 100 % du chiffre annuel. » Un des critères le plus important est la cotation de l’entreprise : si ses fonds propres sont négatifs, elle n’est pas éligible au PGE. Idem pour les sociétés en redressement ou en procédure de sauvegarde.

« J’ai fait la demande, il y a trois semaines,, confie Guillaumé Blain, responsable de la clinique du mobile, à Limoges. Normalement, j’y aurais droit. » La région, comme prévu par le dispositif gouvernemental, peut également apporter une aide complémentaire, dont le plafond a été réhaussé par l’Etat. « Le fonds de solidarité a été porté d’un à sept milliards, détaille le vice-président du Sénat, Jean-Marc Gabouty, qui siègait la semaine dernière, à Paris. Le Sénat avait fait un amendement pour le porter à 9 milliards. Il n’ a pas été accepté, mais la porte n’est pas fermée, notamment pour le projet de loi de finances rectificatif (PFLR) numéro 3, qui doit être discuté au mois de mai. Sept ou neuf milliards, ce n’est de toute façon pas suffisant. Mais les besoins financiers nous amèneront à l’augmenter. »

Patronne d’une boutique de prêt-à-porter ouverte en fin d’année dernière, rue Lansecot à Limoges, Marylise Bayle, « a opté pour un report de charges et des échéances de prêt », explique-t-elle. « Pour le loyer aussi », ajoute la jeune cheffe d’entreprise.« Le prêt d’Etat, les charges, tout ça, c’est bien, estime-t-elle. Mais si mon chiffre d’affaires ne repart pas, je vais souffrir plus tard. » Pour limiter la casse, elle continue la vente sur Internet, par correspondance. « Au lieu de 3.500 € par semaine, j’ai fait  un chiffre d’affaires de 1.200 €, c’est mieux que zéro », mesure-t-elle.

La question des chiffres d’exploitation et de leurs baisses actuelles est au centre des préoccupations. Guillaumé Blain a fait une demande de prêt de 20.000 €, garanti par l’Etat. Il y a la possibilité de rembourser sur cinq ans et le taux reste à l’appréciation des banques. » Idem pour le report de charges, « Si j’ai un chiffre d’affaires à zéro pendant deux mois, je ne vais pas le rattrapper et du coup, comment je fais pour payer l’Urssaf. » « La perte d’exploitation, personne ne la paye », ajoute-t-il. « Moi, j’ai une assurance depuis 16 ans, ajoute Sébastien Naranjo. La pandémie n’est pas dans les clauses du contrat. Je l’ai un peu mauvaise contre mon assurance.  » 

« Certes, le zéro tracas zéro bla-bla annonce, vous ne l’entendez pas très bien maintenant »

« C’est sûr que la pub « zéro tracas-zéro bla-bla », on ne l’entend pas trop en ce moment », pointe Me Richard Doudet. Sur sa page Facebook, l’avocat limougeaud appelle à faire jouer la concurrence. « Le Président du Credit mutuel vient de dire sur France Inter qu’il couvrirait une partie des pertes d’exploitation de ses clients assurés MALGRE LA REDACTION DES CONTRATS. Si mon assureur ne fait pas pareil, clairement il prendra la porte immédiatement et à jamais. J’invite tous les commerçants, les artisans, les professions libérales à faire cette démarche massivement et tout de suite pour les faire réagir », écrit-il dans son post. 

Le sénateur Jean-Marc Gabouty avait cette semaine, déposé un amendement visant à « mettre à contribution les assurances ». Mais il n’a pas été retenu par la commission mixte paritaire. « Juridiquement, c’est vrai qu’ils ne peuvent pas inclure une épidémie. Mais avec le confinement, ils font des économies importantes. Les indemnités annuelles pour les véhicules, c’est 18 milliards. Avec le trafic réduit de 80 % sur un mois et demi, on ne doit pas être loin de deux milliards d’économies. Il y a aussi moins de cambriolages, moins de casse de machines en entreprise. En faisant ça, on aide aussi le gouvernement à négocier avec les assureurs. » Après de longues discussions, ce secteur a pour l’instant concédé le versement de 400 M€ au fonds de solidarité. Assez loin des économies potentiellement réalisées.

Comme c’est déjà le cas dans la restauration, l’annulation pure et simple des charges est également demandée par certains. « Un vrai sujet », estime le parlementaire haut-viennois. La possibilité d’un étalement sur 24 à 36 mois reste sur la table et « la porte n’est pas fermée » pour une annulation, dans certains secteurs. « Si on décale et qu’il n’y a rien à mettre en face, ça posera problème, souligne un acteur économique. Mais seul le gouvernement pourra le décider. » « Pour les restaurateurs, ça paraît une évidence, souligne le président de la CCI, Pierre Massy. Et c’est aussi le cas pour un certain nombre de secteurs où le chiffre d’affaires de mars-avril ne se fera jamais. Mais tous les secteurs ne peuvent pas être traités de la même manière. A un moment, il faudra quand même que l’Etat choisisse : soit on annule les charges, soit on raye certaines entreprises de la carte. »

Le possible « tsunami » de fermetures et de licenciements est dans la tête de tous les acteurs économiques et politiques. « On attend encore la vague », confie Bruno Nony, le président du tribunal de commerce de Limoges (voir ci-dessous). « La trésorerie de certaines entreprises étaient déjà ric-rac, décrypte Laurence Beaubelique, présidente de la CPME 87. Avec les aides, elles peuvent résister deux-trois mois, mais pas plus. » « Certains entrepreneurs vivent dans le dénuement, rappelle le président de la CCI. Et ce sont eux qui le sont les plus impactés. » 

Les chefs d’entreprise souffrent également de leur isolement. Déjà problématique en temps normal, il s’accroît en temps de crise. « La double peine », souligne la représentante du syndicat patronal. Pour rompre cet isolement, le syndicat organise en Haute-Vienne, des conférences téléphoniques, les jeudis soirs.

« On a eu cinq banques, un jeudi, explique Laurence Beaubelique. Et on va essayer de faire la même chose avec les impôts et l’Urssaf. On est en veille permanente et on essaie de guider les entreprises dans les méandres de la crise. » « Franchement, leur aide est vraiment bienvenue, ils font un super boulot d’accompagnement », se satisfait Guillaume Blain. En temps de crise, même les indépendants savourent les bienfaits de la solidarité.

Tribunal de commerce ‘toujours en attente de la vague »

La cité judiciaire pendant le confinement coronavirus est fermée au grand public. Pendant la crise du Coronavirus, « le tribunal de commerce continue à traiter les dossiers », assure son président Bruno Nony. Ce mercredi 22 avril, le magistrat commercial a comptabilisé « cinq dépôts de bilan, liquidation ou redressement judiciaire », dénombre-t-il. « Le fait d’ouvrir ces procédures permet aux salariés d’être payés par les AGS, c’est déjà ça », ajoute-t-il. Dans le milieu professionnel, les annonces légales du 10 avril ont interpellé : quatre ouvertures de liquidation, trois conversions de redressement en liquidation et 13 clôtures de liquidation « pour insuffisance d’actifs ». Mais il est trop tôt pour y voir l’effet du confinement et du Coronavirus. « Ce n’est pas forcément lié, estime Bruno Nony. Les affaires de mars-avril correspondent plutôt à des entreprises qui étaient déjà en difficulté. On attend encore la vague. Elle va venir plus tard. » En attendant, la juridiction tente d’anticiper et d’accompagner au mieux les entreprises, en relation notamment avec la CCI et la chambre des métiers. « On est vraiment en étroite relation, explique le président du tribunal de commerce. On se parle au minimum deux fois par semaine. Plus on va avoir de commerces en difficulté, plus ces relations seront utiles et régulières. » Les mesures du gouvernement constituent également une soupape pour les entreprises. « Le chômage partiel, c’est déjà une bonne chose, estime Bruno Nony. Le fonds de solidarité est utile pour les gérants de SARL et les travailleurs non salariés. Le PGE peut également donner un bol d’air. Mais ce qui m’inquiète, ce sont les entreprises qui ont des plans de redressement en cours. Si elles obtiennent ce prêt et qu’il faut ajouter son remboursement, ça peut être compliqué. »

Sébastien Dubois

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