Escroquerie aux fausses plateformes d’investissement en ligne : quels recours des victimes contre leur banque ?

En dépit de l’action des pouvoirs publics, les sites frauduleux qui proposent aux internautes d’investir dans des produits atypiques tels que les options binaires, le Forex, les crypto-monnaies ou les spiritueux se multiplient sur la toile.Selon l’Autorité des marchés financiers (AMF), entre juillet 2017 et juin 2019, les français se sont ainsi vus délestés de plus d’un milliard d’euros d’économie par les individus qui opèrent derrière ces sites.

La technique est toujours la même. Tout débute par un email ou une publicité ciblée promettant aux internautes de leur faire gagner beaucoup d’argent en peu de temps ou de leur faire bénéficier d’un placement sûr avec un taux d’intérêt oscillant entre 6 et 8%.

En cliquant sur la publicité ou sur le lien figurant dans l’email, l’internaute est alors redirigé vers un site internet très bien réalisé et tout à fait crédible, comportant toutes les mentions légales requises ainsi qu’un certain nombre de « certifications » (telles que le logo de l’AMF, bien que cet organisme ne délivre pas d’accréditations).

Le site est le plus souvent une copie par « aspiration » d’un site internet édité par une société de trading enregistrée et dont seul le nom de domaine diffère légèrement, si bien qu’il est très difficile de faire la distinction entre la copie et l’original.

Lorsque l’internaute appelle le numéro de téléphone qui figure sur le site frauduleux, il est redirigé vers un centre d’appel situé à l’étranger où une personne qui se présente comme un courtier ou un gestionnaire de patrimoine lui répond dans un français parfait, après avoir décliné des nom et prénom à consonance « vieille France ».

Après plusieurs minutes, l’internaute se voit doté d’un espace personnel sur le site, certains escrocs allant parfois jusqu’à proposer une application permettant à leurs victimes de gérer leur « compte client » en direct, comme pour une banque.

Epaulée par ce « conseiller », la future victime commence alors à « investir » et voit soudain des gains ou des intérêts bien supérieurs à ceux annoncés s’afficher directement sur son écran.

Le conseiller fait mine d’être surpris par ces bons résultats mais les explique en usant de termes financiers incompréhensibles mais néanmoins crédibles pour le profane. Sous cette apparente maîtrise de la finance se cache en réalité un système qui fonctionne en vase clos, le site étant paramétré à l’avance par les escrocs.

Avec la confiance établie, l’escroc puis pousse la victime à investir de plus en plus grandes sommes et l’invite à transférer des fonds vers les comptes bancaires ouverts auprès de banques étrangères.

Une fois les fonds définitivement transférés, la victime s’aperçoit soudain que le site internet est en maintenance et que le « conseiller » ne répond plus au téléphone. Les escrocs se sont volatilisés avec le capital investi.

Face à ces réseaux très bien organisés, les recours directs sont limités et incertains. Il est en effet quasiment impossible d’identifier les escrocs, lesquels sont très souvent localisés dans des pays lointains bénéficiant d’une réglementation clémente.

Certaines victimes se tournent alors vers l’Autorité des Marchés Financiers (l’AMF), laquelle n’a malheureusement aucun pouvoir sur ces sites frauduleux. En effet, son rôle est de réguler les marchés financiers légaux et de mettre en place des procédures de médiation entre les investisseurs et les traders.

L’AMF tient cependant à jour une « liste noire » sur laquelle figurent les sites internet qui lui ont été signalés comme frauduleux, ou potentiellement frauduleux.

En réalité, la seule option qui s’offre aux victimes est d’envisager la mise en cause de leur banque.

En principe, les banques sont tenues à un certain nombre d’obligations au titre de la législation relative au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme. La jurisprudence a cependant dégagé une obligation générale de vigilance qui dépasse ce cadre.

Ainsi, la responsabilité du banquier peut être engagée s’il ne s’est pas opposé à la réalisation d’une opération comportant une anomalie « apparente », c’est-à-dire une anomalie qui ne devrait pas échapper à un banquier « suffisamment prudent » et « normalement diligent ».

La jurisprudence distingue entre deux types d’apparentes anomalies: la « matière » des anomalies et « intellectuelle » des anomalies.

L’anomalie matérielle est celle qui entache la validité même du titre ou du moyen de paiement, telle qu’une falsification, un « grattage » ou un ajout, l’imitation d’une signature …

Par exemple, dans le cadre d’un virement au montant étrangement élevé, la banque doit interroger son client sur l’origine et la destination des sommes ainsi que sur l’objet de la transaction et l’identité du bénéficiaire.

Cette obligation de vigilance de la banque est néanmoins tempérée par un devoir de non-immixtion en vertu duquel elle « n’a pas à s’immiscer dans la gestion des affaires de ses clients ».

Cela étant précisé, s’il atténue l’obligation de vigilance de la banque, le devoir de non-ingérence ne la supprime pas.

Dans le cadre d’une affaire d’escroquerie commise au moyen d’un faux site de trading, il s’agira principalement de savoir si le banquier a manqué à son obligation de vigilance face à une anomalie purement intellectuelle, à savoir : le transfert par un particulier de fonds conséquents vers une banque étrangère.

L’étude de la jurisprudence nous indique que la solution du litige dépend entièrement des faits de l’espèce. Il convient en effet de présenter au juge un faisceau d’éléments de nature à déterminer si la banque a commis une faute susceptible d’engager sa responsabilité.

Ainsi, pour estimer les chances de succès d’une action en responsabilité à l’encontre d’une banque, il faut préalablement se poser des questions très concrètes telles que :

Récemment, dans un arrêt du 29 octobre 2019 (n° 17/03836), la Cour d’appel de Poitiers a eu l’occasion de se poser ce type de questions, pour rendre sa décision.

En l’espèce, un couple ayant perdu près de 110.000 euros en investissant sur un site internet frauduleux avait alors assigné sa banque, pour non-respect de son obligation de vigilance.

Procédant à une analyse factuelle et très circonstanciée, la Cour a alors relevé :

Au vu de ces éléments, la Cour a considéré que, sauf à manquer à son devoir de non-ingérence, la banque ne pouvait s’immiscer plus avant dans la gestion financière du compte de ses clients et, qu’en conséquence, aucun manquement à son obligation de vigilance ne pouvait lui être reproché.

Tout est donc une question de cas d’espèce. Globalement, le succès d’une action dirigée par la victime d’un faux site de trading à l’encontre de sa banque résidera dans sa capacité à démontrer que la banque n’a pas été suffisamment vigilante et qu’elle a fermé les yeux sur une opération qui aurait pourtant dû attirer son attention, du fait de son anomalie apparente.

Romain Darriere, Avocat et Henri de Charon, JuristeSELARL ROMAIN DARRIEREwww.romain-darriere.fr

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