« La Peste le Choléra » de Patrick Deville
Ed. Seuil, 2012. Juste réédité en Points (janvier 2020). 219 pages
La vie et l’œuvre d’Alexandre Yersin, découvreur du bacille de la peste (Yersinia pestis) en 1894 et inventeur du sérum antipesteux : ainsi pourrait se résumer Peste & Choléra, et ce serait déjà pas mal puisque la peste, la grande exterminatrice, en sort vaincue. Sauf que c’est Yersin, et que c’est Deville, donc bien plus.
Suisse de naissance (en 1863), Français par naturalisation (en 1889), mort à Nha Trang, Vietnam (en 1943), Alexandre Yersin est un des membres les plus doués du groupe de médecins microbiologistes formé par Louis Pasteur dans les années 1880. À l’époque, ceux-là vaccinent à tour de bras contre la rage.
Mais Yersin rêve aussi de découvrir la planète. Il part vers l’Asie, tombe amoureux de l’Indochine, soigne les gens, explore là où aucun Européen n’est encore allé, ouvre des pistes, découvre des populations, reçoit un coup de lance, cartographie minutieusement, fonde la ville de Dalat avec Paul Doumer (le futur président de la République), monte son laboratoire à Nha Trang, y produit des sérums, fait des recherche en agronomie, introduit toutes sortes de plantes et d’animaux domestiques (les Vietnamiens ne l’ont pas oublié, qui en ont fait un héros national). Entretemps, il poursuit la peste de Hong Kong à Bombay, en passant par Canton… « Ce n’est pas une vie que de ne pas bouger », dit-il.
Outre son sujet, le point fort du livre, bien sûr, c’est le style Deville. Quelle prose ! à la fois limpide et déroutante, rationnelle et onirique, tendre et féroce, sérieuse et ironique… C’est à la fois de l’histoire – tous les faits sont avérés – et une fiction. Le narrateur, fantôme du futur, observe son héros. Il ose des parallèles fascinants, Rimbaud-Yersin par exemple, par quoi il glisse cette belle phrase de Leonardo Sciascia : « La science, comme la poésie, se trouve, on le sait, à un pas de la folie ».
Peste & Choléra a reçu, entre autres, le Prix Femina en 2012. Il figurait dans la poignée de finalistes du Goncourt la même année. Le jury ne l’a pas choisi. C’est dommage.