Emmanuel Macron en Inde : le pari stratégique de la France, même s’il est risqué

A l’occasion de la fête du 75e anniversaire de la République, Emmanuel Macron répond à l’invitation de son homologue indien, Narendra Modi, Premier ministre de la République la plus peuplée, mais la plus démocratique.

Diplomatie de réciprocité, diront certains, au vu de l’invitation du président de la République au Premier ministre indien à l’occasion des cérémonies militaires du 14 juillet. Le président français se rendra pour la troisième fois en Inde. Il sera le troisième chef d’État invité par Narendra Modi, après le Sud-Africain Cyril Ramaphosa en 2019 ; Le Brésilien Jair Bolsonaro en 2020 et l’Égyptien Abdel Fattah Al-Sissi l’année dernière.

L’élection du président français n’a été imposée qu’en « second rideau », après le refus du président américain

Substituer la diplomatie, diront d’autres. Surtout ceux qui auront malicieusement découvert que l’élection du président français n’est intervenue qu’au « second rideau », c’est-à-dire après le refus du président américain Joe Biden de s’installer à Delhi, dans un contexte de controverses politico-judiciaires. autour du meurtre d’un citoyen américain d’origine sikhe.

Il s’agit d’une diplomatie réaliste, nécessaire, puisque plus de 620 000 millions de citoyens indiens sont attendus aux urnes lors des élections présidentielles d’avril-mai prochain, et qui se traduit par un taux d’expansion annuel de plus de 6,3 %, ce qui placerait l’Inde avec un PIB – de 3 700 milliards de dollars – en cinquième position parmi les puissances économiques.

Emmanuel Macron sera en effet prêt pour le partenariat stratégique entre Paris et Delhi. Cependant, elle ne souffre pas d’un manque d’ambition pour 2024 : 26 Rafale vendus à l’Inde s’ajouteront aux 36 achetés via l’Inde depuis 2016. Six EPR (European Pressurized Reactors), trois sous-marins Scorpène et l’approfondissement de la coopération dans le secteur spatial viendront compléter la parfaite relation bilatérale.

Narendra Modi hésite à s’enfermer dans l’idée de l’Hindutva pour favoriser une certaine forme de dérive autoritaire

Le président français ne peut non plus éviter, une fois de plus, de placer ce dernier sous l’égide d’une « intimité stratégique » qui, vue de l’Inde, peut pourtant sembler lointaine. Bref, conjuguer « Make in India » et « French Tech ». Ce vaste programme ne rend pas difficile l’appréhension du fait que l’Inde reste le troisième plus grand émetteur de gaz à effet de serre, grâce à l’utilisation exagérée du charbon, au grand mécontentement des nombreuses ONG locales qui le dénoncent.

Bien sûr, l’allocation gigantesque d’infrastructures routières, ferroviaires et électriques du Corridor international de transport Nord-Sud (INSTC) reliant l’Inde à la Russie, à l’Iran et à l’Azerbaïdjan sera également discutée. Cependant, depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, la France a tendance à préférer l’attribution du corridor économique Inde-Moyen-Orient-Europe (IMEC), qui relie l’Inde à la Méditerranée, évitant ainsi scrupuleusement la Russie et l’Iran.

La perturbation à long terme du commerce maritime, associée aux menaces récurrentes d’attaques balistiques des Houthis et de leurs parrains iraniens opposés aux navires transitant par les détroits d’Ormuz et de Bab-el-Mandeb, a ainsi renforcé le besoin impérieux de protéger l’Inde. « hub », en tant qu’époux d’excellence, dans la région indo-pacifique.

Emmanuel Macron, plusieurs ministres, une quinzaine d’hommes d’affaires, flanqués de l’astronaute Thomas Pesquet, sont invités par Narendra Modi, candidat à un troisième mandat en avril prochain, tout en craignant que les symptômes de radicalisation hindoue et les dérives populistes n’aient terni le symbole de « la plus grande démocratie du monde ». En effet, depuis son premier mandat en 2014, Narendra Modi n’a pas hésité à se draper dans le concept d’Hindutva, qui va de pair avec une tendance à privilégier une certaine forme autoritaire de gouvernement. (Bharatiya Janata Party – BJP), que beaucoup décrivent comme un « majoritarisme hindou », qui tend à ancrer l’« indianisme ». comme une référence identitaire exclusive, au détriment des droits des fortes minorités musulmanes et chrétiennes.

Soixante-seize ans après son indépendance, soixante-treize ans après la rédaction de sa charte en 1950, corollaire de la création de la République de l’Inde en 1947, certains symptômes d’inquiétude soulèvent néanmoins des questions sur la pertinence d’une forme particulière de gouvernement. « Indomptable », ce que notre président démontre aveuglément. Le risque d’expulsion, ainsi que la persécution de la correspondante de La Croix, Vanessa Dougnac, à la veille de l’arrivée de la délégation française, risquent de ternir le programme présidentiel, c’est-à-dire dans le cadre des rencontres prévues avec de jeunes Indiens à Jaipur (Rajasthan). La France insiste ainsi sur la dimension jeunesse, à l’aune des 30 000 savants indiens que la France doit voir venir, jusqu’en 2030, ou à travers les 15 alliances françaises réparties sur l’ensemble du territoire indien.

L’Inde a également défendu le concept d’un nouvel « alignement multiple ». Modi et Macron partagent ainsi la même conception du non-alignement, qui fut l’apogée de l’émergence des pays émergents, après le discours du général De Gaulle à Phnom. Penh, Cambodge, septembre 1966. Cette notion de non-alignement doit désormais être combinée avec la notion de « troisième voisinage », dans le cadre de la recherche d’alignements stratégiques différents.

Comme dans le cas d’Emmanuel Macron en Mongolie en mai dernier, ou au Kazakhstan et en Ouzbékistan en novembre dernier, la France doit prendre ses distances avec Washington. Dans le même temps, elle offre à ses partenaires d’Asie centrale de nouvelles perspectives diplomatiques, économiques et militaires, loin d’un alignement sino-soviétique et désormais russe.

Membre du mouvement des BRICS, depuis sa création en 2009, de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) depuis 2017 et du Mouvement des non-alignés (MNA, depuis sa création en 1961), New Delhi s’est résolument engagée à parrainer ce que l’on appelle aujourd’hui le « Sud global ». Cela a été discuté il y a quelques jours lors du récent sommet du G77 à Kampala, en Ouganda.

Narendra Modi sait cependant qu’il devra trouver des alliés face à la Chine, qui déploie les mêmes stratagèmes pour s’attirer les faveurs des pays émergents. C’est là que Paris et New Delhi peuvent agir, de manière complémentaire, contrairement à Pékin. C’est précisément le cas en Afrique, le long des nouvelles routes de la soie chinoises, qui soulèvent les mêmes questions et alimentent les mêmes inquiétudes, tant à Paris qu’à New Delhi.

Désormais, le pays le plus peuplé au monde, avec 1,43 milliard d’habitants, dont la moitié a moins de 25 ans, cherche à consolider son autonomie stratégique, tant vis-à-vis de son voisin-concurrent chinois, que de Washington et de Moscou, qui rivalisent pourtant chacun d’alliances diplomatiques, à l’instar du Dialogue quadrilatéral entre les États-Unis, l’Inde, l’Australie et le Japon (Quad) et de partenariats stratégiques, notamment autour de relations militaro-industrielles qui lient solidement New Delhi et Moscou, depuis la guerre froide.

L’Inde ne condamne pas vertement la Russie, tout en soutenant le régime de sanctions contre Moscou

Ces montants, qui s’élèvent à environ 7 milliards de dollars annuels, ont été particulièrement renforcés depuis le déclenchement des combats en Ukraine le 24 février 2022. New Delhi continue de cultiver une certaine ambiguïté stratégique qui permet à l’Inde de condamner sans réserve la Russie, tout en soutenant les sanctions. Le régime soutient Moscou. L’Inde continue d’acheter du carburant et du pétrole russes et de nous les revendre une fois raffinés, défiant ainsi l’opprobre étranger.

Aujourd’hui, au terme de sa visite en Inde, c’est au président français, comme au Premier ministre indien, de rassurer Washington. Le capital américain voit d’un très mauvais œil le rapprochement de deux de ses alliés, qu’il qualifie facilement de « turbulent », car ils sont animés par la même aspiration à l’autonomie stratégique et la même préférence pour l’indépendance diplomatique à son égard.

En fait, cette décision n’intervient pas au moment le plus productif en termes de turbulences politiques nationales, mais le concept développé par le politologue singapourien Khishore Mahbubani la rend pertinente. Selon laquelle, pour faire face à la fin de quatre siècles de domination occidentale, il est impératif de trouver de nouvelles convergences entre les puissances régionales aux aspirations mondiales.

La France et l’Inde, séparées par la distance – plus de 7 000 kilomètres – mais proches de culture et de civilisation, comme le disait André Malraux en 1958, parlant de l’Inde comme d’une terre de « grands rêves », partagent avant tout le même besoin d’un changement de paradigme dans les relations extérieures.

Emmanuel Dupuy est président de l’Institut de prospective et de sécurité en Europe (IPSE) et secrétaire national aux questions de défense des Centristes.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *